Rivalité sino-américaine : Pékin marque des points

07.05.2025 - Éditorial

Malgré de nombreuses difficultés intérieures, la Chine tente d’apparaître comme un havre de stabilité face à une administration américaine erratique. Pékin tend la main à de nombreux partenaires, de l’Europe aux BRICS, analyse Philippe Le Corre.

 Taux d’intérêts

Le président chinois Xi Jinping, ici à Hanoï, s’est rendu dans trois pays d’Asie du Sud-Est touchés de plein fouet par les sanctions commerciales imposées par Trump : le Cambodge (49 %), le Vietnam (46 %) et la Malaisie (24 %).

La fin de la récréation est-elle annoncée ? Le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, puis Donald Trump lui-même, ont laissé entendre le 23 avril, que les fameux « tarifs » contre la Chine baisseraient « substantiellement », et qu’un accord pourrait être conclu entre les deux pays. Sauf que les dernières semaines ont vu une détérioration considérable de la relation sino-américaine, déjà bien mal en point.

Les taxes sur les importations chinoises, assorties de commentaires peu diplomatiques, ont rendu très incertaine la probabilité d’un échange rapide entre Trump et Xi Jinping. Les deux hommes ne se sont pas parlé depuis le 17 janvier, et le président chinois ne fera probablement pas de geste en direction de Washington tant que la tension ne sera pas retombée, même si Trump assurait le contraire dès vendredi.

Du point de vue du Parti communiste, ce serait une erreur politique après avoir déclaré que la Chine « se battrait jusqu’au bout par tous les moyens ». Car paradoxalement, le géant asiatique retrouve des couleurs sur la scène mondiale depuis le changement de locataire à la Maison-Blanche, malgré de nombreuses difficultés intérieures en Chine, allant de l’endettement des gouvernements provinciaux au chômage des jeunes, en passant par le fort ralentissement du marché immobilier. Au sein de l’armée chinoise, des tensions importantes transparaissent aussi au sein de la hiérarchie avec la mise à l’écart du général He Weidong, vice-président de la Commission militaire centrale.

A la recherche de partenaires

Autant donc faire diversion et profiter des tergiversations américaines. Mieux préparée qu’en 2017 lors de l’arrivée de Trump 1.0, la direction chinoise multiplie les initiatives internationales afin d’apparaître comme un havre de stabilité face à une administration américaine « instable » et qui ne cesse de louvoyer autour de ses annonces de sanctions commerciales. Mi-avril, Xi Jinping s’est rendu dans trois pays d’Asie du Sud-Est touchés de plein fouet par les sanctions commerciales imposées par Washington : le Cambodge (49 %), le Vietnam (46 %) et la Malaisie (24 %). A ces trois pays, Xi a promis « une communauté d’intérêt de tous les instants et un destin partagé pour une ère nouvelle ».

Depuis un mois, le gouvernement chinois multiplie les gestes en direction d’autres partenaires potentiels : le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, et surtout l’Union européenne – levée des sanctions chinoises contre plusieurs députés européens, relance des discussions autour de l’accord sino-européen sur les investissements et offre à mots couverts d’une réduction des aides d’Etat pour certains investissements chinois. Sans oublier l’offensive de charme envers les pays membres des BRICS, ce groupe dont Pékin entend être le centre de gravité, à l’heure où l’on célèbre « l’esprit de Bandung », la ville indonésienne où s’était tenu en avril 1955 le célèbre sommet des non-alignés.

Encourager la consommation

D’un point de vue américain, la nécessité de baisser les droits de douane sur la Chine, afin d’amorcer une négociation, s’impose après les annonces tonitruantes des cent premiers jours de la présidence. Mais la direction chinoise, échaudée par ses tentatives sans succès de discussion avec la Maison Blanche, y est-elle seulement prête ? Pékin fait la sourde oreille et analyse la situation de façon rationnelle : certes, elle se réjouira (discrètement) si les taxes de 145 % sur ses exportations vers les Etats-Unis sont réduites, mais il s’agit de garder la tête froide et de ne montrer aucun signe de faiblesse.

Les Bourses chinoises de Shanghai et Shenzhen sont surveillées de près par les autorités, qui gardent un mauvais souvenir des années 2021 et 2023 durant lesquelles les investisseurs chinois avaient essuyé de fortes pertes. Pékin cherche au contraire à renflouer les classes moyennes tout en encourageant la consommation de produits chinois, donc la production intérieure. Maillon essentiel de l’économie chinoise, l’exportation est grandement encouragée. L’Etat a émis également des obligations permettant aux banques de baisser leurs taux d’emprunt. De même, le régime a entrepris une opération de charme auprès des multinationales notamment dans la finance, les services et la santé, qui composaient la majorité des quarante chefs d’entreprise étrangers invités à une rencontre avec Xi Jinping le 28 mars dernier.

Philippe Le Corre
Diplômé de l’INALCO et de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Philippe Le Corre est spécialisé dans les interactions de la Chine avec le monde (en particulier l’Europe, l’Eurasie et les États-Unis), les relations UE-Chine et transatlantiques, la compétition des grandes puissances en Indo-Pacifique et les investissements chinois à l’étranger. Il a été conseiller pour les affaires internationales du ministre français de la Défense, analyste au bureau Asie de la DGRIS, ainsi que cadre dirigeant chargé des relations avec l’Asie chez Publicis. Philippe Le Corre a également travaillé pour deux grands groupes de réflexion sur la politique étrangère basés à Washington. Actuellement, il est professeur de géopolitique à l’ESSEC Business School. Philippe Le Corre occupe en outre les fonctions de senior fellow au Center for China Analysis de l’Asia Society Policy Institute et de senior adviser on geopolitics à l’Asia Society France. Il est aussi chercheur associé au John K. Fairbank Center for Chinese Studies de l’Université de Harvard.