Que retenir de la visite du président Trump dans le Golfe?

23.05.2025 - Éditorial

Le président Trump a effectué du 13 au 15 mai une tournée – à la tête d’une très importante délégation d’hommes d’affaires – en Arabie Saoudite, au Qatar et aux Emirats Arabes Unis. A Riyad, il a également participé à un sommet du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe et a visité la ville historique de Diriya, berceau de la dynastie des Saoud. Au Qatar, il s’est rendu sur la base d’Al Udeid, la plus grande implantation militaire américaine au Moyen-Orient.

Partout il a reçu un accueil royal, reflétant la satisfaction des monarchies pétrolières de recevoir un ami, qui effectuait chez elles sa première visite à l’étranger (à part sa participation à Rome aux obsèques du Pape François) .Le président Trump n’a d’ailleurs pas masqué son plaisir d’être en terrain connu et apprécié . Il est vrai que les pays du Golfe ont toujours eu des relations plus faciles avec les présidents républicains, proches des milieux pétroliers. En outre, son message – respect des traditions locales, appréciation des réalisations de ces pays , relation personnelle avec les leaders de la région , promotion de la paix et des affaires, maintien de la protection américaine – correspond à l’attente de ses hôtes, qui recherchent la stabilité pour assurer le développement des projets économiques de leur « Vision 2030 ».

Cette tournée a donc été – sans surprise – l’occasion d’annoncer de grands contrats et promesses d’investissement, tant dans les domaines civil que militaire. A Riyad, ont été rendus publics 142 milliards de dollars de contrats militaires et de nombreux projets dans les secteurs de l’énergie (34 accords avec l’ARAMCO pour 90 milliards de dollars), des richesses minières, des transports, des infrastructures numériques, de l’intelligence Artificielle, de la fintech, de la santé et de l’immobilier (avec le conglomérat Trump…), pour des montants excédant les 300 milliards de dollars. Le prince héritier saoudien a signé avec le président Trump un accord de partenariat stratégique économique et a réitéré son intention d’investir au cours des 10 prochaines années 600 milliards de dollars aux Etats-Unis, que le président Trump lui a demandé d’accroître jusqu’à 1.000 milliards…

Au Qatar, il a été question d’accords en matière d’armement et de la vente de 160 avions Boeing pour la somme de 200 milliards de dollars, ainsi que du « prêt » d’un avion présidentiel au locataire actuel de la Maison Blanche (ce qui a suscité une polémique aux Etats-Unis). Le président Trump a déclaré que l’ensemble des contrats avec le Qatar représentait 1.200 milliards de dollars sur 10 ans. Aux Emirats Arabes Unis, le cheikh Mohamed ben Zayed a annoncé prévoir d’investir 1.400 milliards de dollars aux Etats-Unis, notamment dans les domaines de l’énergie, des technologies avancées et de l’intelligence artificielle.

A l’occasion de ses discours – notamment lors du grand Forum d’affaires à Riyad – le président Trump a été très généreux en compliments envers ses hôtes, tous qualifiés de « grands amis » et d’« excellents dirigeants », et envers les réalisations « uniques» de ces pays.

Sur le plan politique, cette visite a été marquée par plusieurs déclarations :

  • La plus importante concerne la levée des sanctions à l’égard de la Syrie, qui a été accueillie par une explosion d’applaudissements. Il est vrai que l’Arabie Saoudite – mais aussi les autres pays du Golfe et la Turquie – militent en ce sens depuis l’arrivée au pouvoir d’Ahmad el Chareh, qui a eu droit à un entretien avec le président Trump (en présence de MBS et en visioconférence avec le président Erdogan). Il s’agit d’une décision importante qui consacre la légitimation du nouveau pouvoir à Damas.
  • A propos de l’Iran, le chef de la Maison Blanche a réitéré ses critiques habituelles sur le régime iranien, mais il a aussi souligné qu’il espérait un succès rapide de la négociation engagée avec Téhéran. Il a ajouté que si elle échouait, il n’aurait pas d’autre choix que de renforcer la politique de « pression maximale » en matière de sanctions économiques, mais sans évoquer l’éventualité d’une action militaire. Il a aussi loué le rôle du Qatar pour faciliter un accord entre les Etats-Unis et l’Iran.
  • S’agissant du conflit israélo-palestinien, le président Trump s’est contenté de déclarer qu’il « rêvait d’une normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël », en reconnaissant néanmoins que Riyad l’effectuerait « à son rythme ».

Cette tournée américaine dans le Golfe reflète le rôle économique et politique croissant des monarchies arabes pétrolières et la volonté de l’administration Trump de préserver – face à la concurrence chinoise – les relations privilégiées de Washington avec les capitales de cette région. Le président Trump considère cette zone comme une vraie « success story », avec des dirigeants et une population jeunes, tournés vers les nouvelles technologies et les affaires – en contraste avec l’image traditionnelle du Moyen-Orient et ses querelles sans fin. Devant les perspectives offertes par les réformes économiques et les grands projets du Golfe, Trump souhaite clairement promouvoir les intérêts des compagnies américaines, et au passage de sa famille. Il convient cependant de relever que la coopération nucléaire avec l’Arabie Saoudite semble reportée à plus tard, sans doute au résultat de la négociation en cours entre les Etats­-Unis et l’Iran.

Sur le plan politique, le président américain n’a pas obtenu de geste saoudien sur la question de la normalisation avec Israël, dont il a compris – après avoir entendu à Riyad les critiques des dirigeants du CCEAG devant le carnage en cours à Gaza – qu’elle n’interviendrait pas sous le gouvernement de M. Netanyahou, fermé à toute concession aux Palestiniens. Le silence de Trump sur la situation dramatique à Gaza était assourdissant, alors que la chaîne satellitaire Jazira montrait en même temps les frappes israéliennes sur l’enclave et les annonces mirobolantes de contrats. Il a juste rappelé qu’il voulait faire de Gaza une « zone de liberté » !

La presse de la région a, à ce titre, souligné avec espoir la distanciation apparente du président Trump avec le Premier Ministre israélien : pas de visite à Tel Aviv au cours de cette tournée au Moyen-Orient, dialogue direct des Américains avec les Houthis comme avec le Hamas et les Iraniens, consécration du pouvoir d’Ahmad el Chareh… Autant de gestes peu appréciés par Netanyahou, qui font espérer aux pays du Golfe que le président Trump – malgré son engagement ferme auprès d’Israël – ne se laissera pas entraîner dans la politique intransigeante du Premier Ministre, susceptible à leurs yeux de déstabiliser la région. L’éviction de M.Waltz est perçue comme un signe en ce sens.

Il reste que des annonces de grands contrats – évalués par Trump à près de 4.000 millards de dollars – font partie du scénario habituel des visites dans le Golfe, mais que les promesses ne sont pas toujours suivies d’effet… Notamment en Arabie Saoudite, dont les capacités financières sont actuellement plus contraintes qu’au Qatar et à Abou Dhabi. Il est cependant clair que cette tournée de Trump marque un retour des Etats-Unis dans la région, que la réaffirmation de l’engagement américain à protéger ses alliés du Golfe est très appréciée par eux et que ces pays ne manqueront pas de faire des gestes concrets pour manifester leur satisfaction.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.