Réforme judiciaire au Mexique: incertitude croissante pour les investisseurs

13.06.2025 - Éditorial

Le 1er juin 2025, le Mexique a organisé pour la première fois une élection directe de son pouvoir judiciaire, soumettant au suffrage universel plus de 2 600 postes, dont les neuf sièges de la Cour suprême. Cette réforme constitutionnelle, initiée par l’ancien président Andrés Manuel López Obrador et mise en œuvre par la présidente Claudia Sheinbaum, constitue un basculement profond dans l’équilibre des pouvoirs de la République.

Présentée comme une mesure de démocratisation de la justice, cette réforme n’a pourtant pas émergé d’une demande claire de la société mexicaine, ni d’un large consensus politique ou institutionnel. Son adoption rapide, sa mise en œuvre précipitée, et l’absence de garanties robustes sur l’indépendance des magistrats élus suscitent de sérieuses préoccupations. Loin de renforcer les institutions, cette réforme ouvre une période d’incertitude quant à l’impartialité du pouvoir judiciaire, à sa résilience face aux pressions politiques, et à sa capacité à garantir la sécurité juridique du pays.

Au total, ce sont 2 681 postes judiciaires qui ont été soumis à l’élection directe. Parmi eux, 881 relèvent de l’ordre fédéral, incluant :

– 9 ministres de la Cour suprême de justice de la Nation (SCJN),
– 2 magistrats de la Sala Superior du Tribunal Électoral du Pouvoir Judiciaire de la Fédération (TEPJF),
– 5 membres du nouveau Tribunal de Discipline Judiciaire,
– 15 magistrats des Salas Regionales du TEPJF,
– 464 magistrats de circuit,
– 386 juges de district.

À cela s’ajoutent environ 1 800 postes supplémentaires dans les pouvoirs judiciaires des 19 États où des élections locales ont également eu lieu. Les fonctions locales comprenaient des juges, des magistrats et des membres de tribunaux disciplinaires, avec des niveaux de complexité et de volume variables selon les entités fédérées.

Complexité et participation limitée

Le processus électoral s’est déroulé dans un contexte marqué par une forte confusion. Les électeurs ont été appelés à choisir plusieurs dizaines de candidats dans un climat d’opacité, sans débat public structuré, et avec une information limitée sur les profils en lice. Dans certains États, comme la ville de Mexico, chaque électeur a dû voter pour plus de 50 fonctions judiciaires distinctes.

Le taux de participation qui en résulte a été particulièrement bas (environ 13 %), soulignant le fossé entre la réforme institutionnelle et la mobilisation démocratique réelle.

Plusieurs organisations nationales indépendantes ont également relevé des pratiques préoccupantes : achats de votes, distribution d’instructions de vote préremplies, et candidatures uniques validées sans concurrence. Dans l’État de Durango, par exemple, les 49 postes soumis au vote ont été pourvus sans opposition, remettant en cause la substance même du processus électoral.

Un pouvoir judiciaire vulnérable à la politisation

La majorité des candidatures validées à l’échelle fédérale a été directement ou indirectement promue par le parti au pouvoir, Morena. Cette centralisation du processus de désignation, combinée à l’absence de filtres institutionnels indépendants, accroît le risque de soumission du pouvoir judiciaire à des logiques politiques.

Dans plusieurs régions, des observateurs ont également relevé des tentatives d’influence de groupes d’intérêt, y compris criminels, sur certains postes stratégiques. L’élection de juges dans des territoires sous tension ouvre un nouveau champ d’incertitude sur l’indépendance de la justice locale, déjà fragilisée par des décennies de conflits institutionnels.

Sécurité juridique et impact sur la confiance économique

Le lien entre indépendance du pouvoir judiciaire et climat d’investissement est bien établi. Pour les investisseurs, nationaux ou internationaux, la prévisibilité des règles, l’équité des procédures et l’impartialité des magistrats sont des conditions fondamentales.

Dans ce contexte, l’introduction d’une logique électorale dans la nomination des juges, sans contre-pouvoir institutionnel clair, crée un climat d’incertitude. Elle affaiblit les garanties offertes par l’État mexicain dans le cadre de l’accord USMCA, et soulève de nouvelles interrogations pour les acteurs économiques engagés dans des projets à long terme.

Une période de vigilance

Cette réforme du pouvoir judiciaire ne peut être analysée comme un simple ajustement institutionnel. Elle constitue une inflexion majeure dans le fonctionnement de l’État mexicain, avec des répercussions profondes sur la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la sécurité juridique.

Il appartient avant tout aux autorités mexicaines, aux responsables politiques et à la société civile de garantir la préservation des fondements de l’État de droit, en assurant l’indépendance et l’impartialité de la justice face aux tentatives de récupération par des groupes d’influence, qu’ils soient politiques, régionaux ou liés aux cartels.

La vigilance restera nécessaire, tant sur le plan national qu’international, pour évaluer les conséquences concrètes de cette transformation. L’enjeu dépasse le cadre institutionnel : il engage la confiance des citoyens comme celle des partenaires économiques, et avec elle, la stabilité démocratique, sociale et économique du Mexique à moyen terme.

Frédéric Garcia
Diplômé des Arts et Métiers Paris Tech et de l’ESCP Business School, Frédéric Garcia a réalisé la majorité de sa carrière au Mexique. Il est notamment Directeur Général d’Airbus Mexico pendant 14 ans, jusqu’en 2018. Il fonde ensuite son cabinet de conseil, Le Cercle, pour accompagner des entreprises mexicaines et internationales dans leurs problématiques en résolution de conflits et affaires publiques. En parallèle, en 2019, il est nommé conseiller sur les politiques industrielles, et notamment du secteur aérospatial, par le directeur de cabinet du Président du Mexique.