Le conflit n’est pas terminé et il est donc difficile de faire des prévisions sur son issue.
Mais la vraie question est la suivante : l’argument israélien du risque posé par le développement du programme nucléaire iranien (poursuite de l’enrichissement de l’uranium à des taux « non civils » et dissimulation de sites) est recevable – tout le monde en convient.
Toutefois, est-ce que l’opération militaire israélienne en cours est la bonne réponse ?
Quel est en fait l’objectif de l’intervention israélienne ?
S’il s’agit d’annihiler les capacités nucléaires iraniennes, la plupart des experts estiment qu’il est peu probable qu’Israël y parvienne seul. Et même si Netanyahou arrive à entraîner les Etats-Unis – qui disposent des bombes lourdes pénétrantes – les bombardements ne réussiront qu’à retarder le programme iranien, car on ne peut pas détruire le savoir-faire. En revanche, cela pourrait conduire les autorités de Téhéran à opter définitivement pour l’arme nucléaire, comme moyen ultime de préserver le régime (cf. l’exemple nord-coréen).
Si l’objectif israélien est précisément de renverser le régime iranien – comme le laisse à penser la décapitation de la direction militaire iranienne et les appels répétés de Netanyahou à un soulèvement populaire en Iran – il s’agit là d’un pari qui peut être sanglant et embraser la région du Moyen-Orient. En effet, personne ne doute de la capacité de nuisance de ce régime et il est clair que la plupart des gens – en Iran et ailleurs – se réjouissent de son affaiblissement. Mais est-on sûr que les opérations militaires actuelles parviendront à susciter une révolution intérieure ? Il est vrai que la majorité de la population iranienne – notamment la jeunesse – en a marre de ce régime oppressif et incapable d’assurer le développement du pays. Mais les Gardiens de la Révolution ne se laisseront pas faire, car ils ont trop à perdre. Et le régime dispose encore apparemment de suffisamment de moyens pour frapper Israël et causer d’importants dégâts ailleurs, notamment dans le Golfe. Netanyahou a-t-il suffisamment mesuré ces risques ?
En réalité, il semble bien que le Premier ministre israélien ait décidé cette opération peut-être pour préempter un éventuel deal irano-américain, mais surtout pour des raisons de politique intérieure : son gouvernement est en sursis (il est question d’élections anticipées) et le carnage à Gaza est de plus en plus mal toléré dans le monde, y compris en Israël. Il a donc saisi l’opportunité de l’impasse des négociations américano-iraniennes et de l’affaiblissement de l’Iran pour lui porter un coup décisif et redorer son blason à l’intérieur, en tablant sur la mauvaise image générale du régime de Téhéran et sur le patriotisme des Israéliens. Mais cette opération dégrade encore l’image internationale d’Israël et aussi celle des pays occidentaux accusés de complaisance envers Israël et de pratiquer une politique du « deux poids deux mesures ».
Toutefois, le problème essentiel est que le seul acteur capable de mettre un terme aux conflits du Moyen-Orient et de l’Ukraine est naturellement les Etats-Unis. Or le président Trump donne le sentiment d’être instrumentalisé par Netanyahou comme par Poutine, deux dirigeants qui bafouent allègrement le droit international. C’est l’aspect le plus inquiétant, car jusqu’ici l’administration Trump n’a pas fait la preuve de sa capacité à imposer la paix, contrairement aux objectifs déclarés de son président. Il reste à espérer que Trump ne se laissera pas entraîner par Netanyahou dans une confrontation militaire avec l’Iran et qu’il sera possible de reprendre la négociation en position de force pour encadrer les programmes nucléaire et balistique de l’Iran. Mais ce n’est pas acquis : est-ce que l’opération militaire israélienne parviendra à contraindre Téhéran d’accepter les propositions américaines ? Ce n’est pas certain. Ou bien l’Iran optera-t-il en dernier recours pour une fuite en avant en internationalisant la crise, avec l’espoir de sauvegarder ainsi son régime ? C’est un risque d’embrasement au Moyen-Orient, qui aurait des incidences fortes sur l’économie mondiale. Ou bien le régime – voire l’Iran – finira par se désagréger ? Beaucoup l’espèrent, mais est-ce réaliste ? Ne prendrait-on pas le risque d’un chaos sur le modèle irakien ou libyen après une intervention occidentale dont les conséquences n’avaient pas été prévues ?
A ce stade les choses ne sont pas claires, mais on voit les dangers d’une opération qui prouve certes la capacité militaire d’Israël, sans rassurer pour autant sur la rationalité de la politique de son gouvernement.