Reconnaissance par la France de l’État de Palestine ?

26.09.2025 - Regard d'expert

Il s’agit d’un sujet très sensible qui, en France notamment, suscite des tensions et controverses en politique intérieure. Cela est dû au fait que certains partis instrumentalisent cette question en faisant des amalgames dangereux : entre le Hamas et la Palestine pour les uns, entre la politique de Netanyahou et le fait d’être Juif pour les autres.

Dans le débat en cours, deux critiques sont adressées à la décision du Président de la République de reconnaître l’Etat de Palestine : le moment de la décision et la « récompense au Hamas ». Il convient de répondre à ces questions compréhensibles :

1 / «  Ce n’est pas le moment, car les otages israéliens n’ont pas été libérés »

On pourrait répondre que cette décision aurait aussi pu être prise plus tôt, car elle est conforme au soutien constant de la France à la solution à deux Etats et aux résolutions pertinentes des Nations Unies. Ce mouvement de la France n’intervient en effet qu’après près de 150 autres pays dans le monde…

Sur le plan juridique, certains argumenteront sur le fait que la Palestine n’a pas encore tous les attributs d’un Etat, ce qui est exact. Mais qui en est responsable ? Le gouvernement de M. Netanyahou n’a jamais voulu négocier avec l’autorité Palestinienne – qui reconnait Israël – les conditions et les modalités conduisant à l’auto-détermination du peuple palestinien. Il a préféré conclure avec le Hamas – mouvement terroriste ne reconnaissant pas Israël – un simple arrangement de sécurité, dont on a vu le 7 octobre qu’il était dramatiquement illusoire. Cette politique s’explique par le refus du gouvernement Netanyahou de reconnaitre le droit à l’auto-détermination du peuple palestinien et par son objectif de poursuivre la colonisation de la Cisjordanie en vue de son annexion.

Dans ces conditions, le pogrom du 7 octobre a été une horreur condamnée à juste titre par quasiment tout le monde – y compris les Etats de la Ligue Arabe – mais la réaction légitime d’Israël contre le Hamas a tourné en une opération disproportionnée, causant un nombre de victimes civiles et de destructions à Gaza  totalement injustifiable. Il est donc normal que la communauté internationale réagisse au drame humanitaire en cours et tente de mettre un terme à la politique jusqu’au-boutiste de M. Netanyahou.

C’est le sens de la reconnaissance par la France de l’Etat de la Palestine et de la conférence internationale sur la solution à deux Etats à New York le 22 septembre, à l’initiative conjointe de la France et l’Arabie Saoudite. Il est en effet important que ce dernier pays parraine cette rencontre car il est un des rares interlocuteurs qu’écoute le président Trump. Or, le président américain souhaite une normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël pour contenir l’influence iranienne au Moyen Orient et pour élargir les accords d’Abraham, justifiant ainsi qu’il reçoive le Prix Nobel de la Paix. Mais les Saoudiens demandent, en échange de ce mouvement de leur part, qu’un processus contraignant soit engagé menant à la reconnaissance d’un Etat palestinien. L’initiative française, en créant une dynamique dans ce sens, contribue donc à renforcer la main des Saoudiens dans la négociation qui devrait intervenir entre Washington et Riyad.

S’agissant de la question extrêmement sensible des otages israéliens, on ne peut malheureusement que constater qu’elle n’est apparemment pas la priorité du gouvernement Netanyahou, qui entend d’abord « terminer le travail » (l’élimination totale du Hamas). D’où les manifestations constantes des familles de ces otages, qui s’inquiètent à juste titre des conséquences de l’opération militaire israélienne en cours à Gaza. Il est donc bien que, pour marquer notre soutien à la libération immédiate de tous les otages israéliens, la France en fasse une condition à l’ouverture de son ambassade en Palestine.

2 / « Reconnaitre la Palestine, c’est récompenser le Hamas »

Encore une fois, faire l’amalgame entre le Hamas et la Palestine est aussi odieux que le faire entre un Juif et la politique de M. Netanyahou.

En effet le plan arabe pour Gaza exclut explicitement tout rôle au Hamas et promeut au contraire l’établissement d’une nouvelle Autorité Palestinienne, que les pays de la Ligue Arabe promettent d’aider à reconstruire l’enclave, puis à développer l’Etat palestinien. En revanche, poursuivre la guerre – avec ses très nombreuses victimes civiles – ne peut qu’inciter les proches de celles-ci à vouloir se venger et à appuyer la « résistance » du Hamas.

En bref, la reconnaissance par la France d’un Etat palestinien et la promotion de la solution à deux Etats est une façon de rendre justice au peuple palestinien, qui a beaucoup souffert et qui a droit – comme tout peuple – à l’auto-détermination.

Même si ce processus ne se réalisera pas du jour au lendemain et sans difficultés, il est clair qu’il est dans l’intérêt-même d’Israël de vivre en paix avec son voisinage arabe. Si ce n’est pas le cas, nous risquons de voir d’autres 7 octobre et la difficulté pour Israël de faire cohabiter en son sein une moitié non-juive de sa population.

Il est en même temps essentiel de combattre férocement tout amalgame entre Juif et politique de Netanyahou, comme entre Hamas et Palestinien. On ne peut que regretter à ce titre que le parti LFI instrumentalise la cause palestinienne et qu’une bonne partie de la droite française soit aussi complaisante avec la politique de M. Netanyahou, en réalité parce qu’elle est inquiète de l’immigration maghrébine.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.