Depuis l’épisode tragique de la dissolution le 9 juin 2024, les institutions de la Vème République sont entrées dans une période inédite. Le Président de la République est contesté et affaibli et perd chaque jour un peu plus de sa légitimité. Le Parlement est divisé en plusieurs blocs, dont aucun n’est en mesure de donner une majorité stable à un gouvernement. Les règles du parlementarisme rationalisé, voulues par les auteurs de la Constitution de la Vème République, ont certes permis, de 49.3 en commissions mixtes paritaires, d’assurer une forme de gouvernance, mais le compte n’y est pas. Les principes fondateurs de la Vème République ne fonctionnent plus.
La Vème République a en effet été fondée autour de deux principes : le premier est la rencontre entre un homme et le peuple à travers l’élection du Président au suffrage universel. Cette élection donne à ce dernier une légitimité forte et incontestable. Le second principe est le fait majoritaire, que le mode de scrutin à deux tours des élections législatives a garanti jusqu’à une période récente en forçant deux blocs − gauche et droite − à se regrouper pour espérer gagner.
Ces deux piliers se sont effondrés en même temps. Quelle est la part de responsabilité d’Emmanuel Macron ? Et la part de l’usure du temps sur notre Constitution ? La question n’est pas simplement de principe. La fin du macronisme à laquelle nous assistons va-t-elle permettre à nos institutions de retrouver par la suite un rythme normal de fonctionnement ? 2027 ou une élection présidentielle anticipée que souhaitent de plus en plus de responsables de gauche, de droite ou du bloc central, permettrait-t-elle, en éliminant un Président totalement impopulaire et délégitimé, de réenclencher autour d’un Président nouvellement élu un cycle vertueux ? On voit bien en tout cas que le nœud de la crise politique que nous connaissons est moins dû à l’éclatement des forces politiques qu’au fait d’avoir un Président de la République à 14% de cote de popularité.
Si cette thèse est la bonne − et alors même que personne n’est en mesure de contraindre le Président de la République à démissionner −, cela signifie que la crise politique va se poursuivre jusqu’à la fin du mandat d’Emmanuel Macron. La dissolution n’est pas une solution. Il peut certes y recourir mais c’est une fausse manière de redonner le pouvoir au peuple, qui veut en découdre avec le Président lui-même. Seul un épisode référendaire pourrait permettre au Président Macron de chercher à retrouver sa légitimité perdue. Le fait qu’il ait abandonné l’idée d’y recourir montre bien qu’au moins sur ce sujet il a encore une forme de lucidité. Il sait parfaitement qu’il perdrait ce référendum, quelle que soit d’ailleurs la question posée. C’est dommage car cela aurait pu lui permettre, malgré tout, de quitter le pouvoir la tête haute à la suite d’un désaveu référendaire, comme l’avait fait le général de Gaulle en 1969.
La question du fait majoritaire est tout aussi intéressante. La science politique nous a permis d’apprendre que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours provoquait la bipolarisation de la vie politique autour de deux blocs, droite et gauche. La période macronienne a bouleversé cette règle. Macron lui-même a voulu casser les blocs droite et gauche, très clivants et facteurs bloquant d’après lui des évolutions de notre société et de notre économie. Ce discours a beaucoup séduit en 2017 et a porté ses fruits, faisant apparaître un espace central majoritaire et renvoyant les opposants vers les extrêmes.
Le deuxième mandat du Président Macron montre les immenses limites de ce raisonnement. De déception en déception, le bloc central s’étiole, se déchire, renvoyant les déçus vers les extrêmes qui sont devenus, eux-mêmes, des blocs de taille équivalente. Le mode de scrutin majoritaire a par conséquent, lors des dernières élections législatives, produit un résultat assez voisin d’un vote proportionnel. Ce résultat a été d’autant plus spectaculaire que la première formation politique, le Rassemblement national, qui aurait pu bénéficier du mécanisme du fait majoritaire, a vu se dresser un drôle de front républicain, qui n’aura vécu qu’un dimanche mais qui aura été diablement efficace. Si Macron provoquait aujourd’hui une nouvelle dissolution, il n’est pas du tout évident que le RN − avec 35% des intentions de vote − puisse obtenir une majorité absolue, même avec un front républicain de moindre ampleur. En revanche, à l’issue d’une élection présidentielle remportée par Marine Le Pen ou Jordan Bardella, il est vraisemblable que fort de cette légitimité, l’élection législative qui suivrait leur permettrait de conquérir une majorité de députés.
La question posée est donc la suivante : Le macronisme ne sera-t-il qu’une simple parenthèse dans l’histoire de nos institutions ? Une fois Macron parti, son successeur et les formations politiques qui le soutiendront permettront-ils de retrouver une stabilité institutionnelle, telle que celle que nous avons connue par le passé ?
On ne peut que le souhaiter. La robustesse de notre Constitution peut le permettre. Encore faut-il ne pas y toucher et ne pas s’éloigner de son état d’esprit. À force de tergiverser, de refuser de prendre acte de sa perte de légitimité, de renvoyer aux jeux des partis en multipliant des choix de Premier ministre dont aucun n’a la moindre chance de former un gouvernement majoritaire, le Président Macron prend le risque de transformer une crise politique en crise de régime. En se trompant dans les voies de solution, il instaure un régime de partis qui tourne le dos à l’esprit gaullien de nos institutions. Il pousse les formations politiques à demander la suppression du fait majoritaire, qui d’après elles ne fonctionnerait plus, pour y substituer la représentation proportionnelle qui serait aussi dévastatrice qu’elle l’a été sous la 4ème République, dans un pays qui n’a aucune culture politique du compromis et des coalitions.
Il faut, à défaut d’être populaire et de pouvoir conduire des politiques de transformation dans cette fin de mandat qui n’en finit plus, que le Président de la République respecte les institutions. S’il veut incarner jusqu’au bout, sans démissionner, la stabilité de la République, il n’a pas d’autre choix que de tenir le langage suivant aux Français et aux formations politiques : « Je sais que vous n’avez plus confiance en moi mais vous m’avez élu en 2022 pour un mandat qui court jusqu’en 2027, et dans le désordre politique actuel, sans majorité alternative, je me dois d’assurer jusqu’au bout le mandat que vous m’avez confié. Comme il n’y a de majorité alternative ni à droite, ni à gauche, ni aux extrêmes, je demande aux formations politiques de faire preuve de responsabilité. La grande bataille aura lieu en 2027. Préparez-vous ; expliquez aux Français quelles sont les solutions que vous préconisez pour notre pays ; prenons collectivement le temps de la réflexion. Entre-temps, pour les 18 mois à venir, je propose la formation d’un gouvernement de techniciens issus du monde de l’entreprise, de la société civile ou des administrations, chargé de gérer au mieux les intérêts de notre pays dans cette période, en vous demandant de ne pas le censurer. ». Ce discours aurait pu et dû être tenu après le départ de François Bayrou. Est-il encore possible ? Les prochaines heures nous permettront de le savoir.