A quelques jours de l’élection présidentielle qui se tient le 12 octobre prochain, cette échéance révèle un paradoxe. Plus que des réponses, cette élection pose surtout la question des perspectives dans un contexte fait de déjà vu et de l’inédit.
Du déjà vu
Un président au pouvoir candidat à sa propre succession pour la huitième fois.
Une opposition en rangs dispersés : un nombre élevé de candidats alors même qu’il s’agit d’une élection à un tour. Un code électoral dénoncé comme non consensuel mais toujours en vigueur. Des institutions en charge des élections considérées par l’opposition comme trop favorables au pouvoir (Le ministère de l’Administration territoriale en charge de la gestion des partis politiques ; Elections Cameroon en charge de l’organisation des élections ; et le Conseil constitutionnel chargé du contentieux électoral). Mais bien au-delà des doutes probablement légitimes au sujet de ces institutions électorales, il convient de ne pas minimiser l’ancrage politique et administratif du RDPC (Rassemblement Démocratique du peuple Camerounais) qui a eu le temps depuis 40 ans de fidéliser une clientèle politique.
De l’inédit
Pour une fois depuis 1992, il semblait se dessiner une véritable dynamique. En effet, après l’élimination de l’un des principaux leaders de l’opposition dont la candidature a été invalidée par le Conseil constitutionnel, à savoir le professeur Maurice Kamto, une question a mobilisé l’opinion nationale pendant quelques semaines. L’opposition allait-elle enfin réussir à s’organiser autour d’un candidat consensuel pour engager une dynamique populaire à même de bousculer voire de vaincre Paul Biya ?
Le code électoral en vigueur au Cameroun prévoyant une élection à un tour, il est évident que la seule et unique fenêtre pour espérer une victoire face à celui qui contrôle tous les leviers du pouvoir est une candidature consensuelle à défaut d’être unique.
Une fois Maurice Kamto disqualifié, deux figures ont semblé émerger comme capables de porter cet espoir. Il s’agit de deux anciens ministres démissionnaires du gouvernement du Premier Ministre Joseph Dion Ngute, en l’occurrence, Issa Tchiroma Bakari, président du FNSC (Front pour le Salut National du Cameroun) et Bello Bouba Maïgari, président du l’UNDP (Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès).
Ces deux candidats disposent des mêmes atouts, mais présentent aussi les mêmes faiblesses. Comme atouts, ils peuvent se targuer d’avoir eu le courage de démissionner dans un environnement où cet acte est d’une rareté absolue. Ils peuvent aussi faire valoir une certaine expérience de la gestion de la chose publique au regard de leur longévité dans les fonctions ministérielles. Bello Bouba fut d’ailleurs le tout premier Premier Ministre du Président Biya nouvellement arrivé au pouvoir en 1982.
Autre atout, les partis de ces deux leaders sont assez bien implantés dans la partie septentrionale du pays reconnue comme la partie la plus peuplée et longtemps considéré comme le réservoir des voix pour le RDPC.
Comme faiblesses, l’extrême atomisation de l’opposition avec pas moins de 12 candidats dans une élection à un tour traduit son incapacité à surmonter leurs divergences et surtout leurs égos pour faire bloc et créer une véritable dynamique à même de bousculer à défaut de vaincre le candidat au pouvoir.
L’autre faiblesse est la capacité des partis de l’opposition à mobiliser les scrutateurs dans l’ensemble des bureaux de vote contrairement au RDPC qui dispose d’une machine politique rodée à cet exercice.
L’autre paramètre à prendre en compte est l’influence des réseaux sociaux dans cette élection. Jamais ces derniers n’ont été aussi présents dans une élection au Cameroun. Tous les candidats ont mobilisé des armées d’« influenceurs » plus ou moins outillés au maniement de cet instrument en fonction de leurs moyens.
Au final, alors qu’on se serait attendu à des messages relayant les programmes politiques des différents candidats, c’est plutôt à des tentatives de manipulations, des fake news et autres spéculations que l’on assiste.
Perspectives
Quelles perspectives à l’issue de cette élection ? Une certitude et plusieurs incertitudes.
Une certitude, les près de 8 millions d’électeurs camerounais vont décider ce dimanche s’ils accordent un huitième mandat à Paul Biya ou alors s’ils optent, pour la première fois dans l’histoire politique de ce pays, pour l’alternance en accordant majoritairement leur suffrage à l’un des candidats de l’opposition.
Incertitudes
Que vont décider les candidats à l’élection et la rue si les résultats donnent le président sortant vainqueur ? La question a l’air anodine si l’on considère que les velléités de révolution ne sont pas la chose la plus partagée par les Camerounais. Cependant, les partisans de certains candidats n’arrêtent pas de répéter qu’ils n’accepteront pas de se laisser voler leur victoire.
Que va décider le président Biya s’il est réélu alors que tout le monde s’accorde à considérer ce mandat comme le dernier au plan humain ?
Aura-t-il la force de procéder au renouvellement d’un personnel politique relativement âgé avec lequel il aura cheminé mais désormais en décalage complet avec la moyenne d’âge de la population camerounaise (18 ans) ? Pour rappel, les trois personnalités de premier plan à savoir le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale sont respectivement âgées de 93 ans, 90 ans et 85 ans.
Décidera-t-il d’ouvrir les grands chantiers des réformes institutionnelles clivantes pour lesquelles un consensus est absolument nécessaire, à savoir par exemple la forme de l’État, les grandes réformes économiques dont la sécurité foncière, le code électoral, la gestion de l’importante et très qualifiée diaspora – notamment la question de la multinationalité – ainsi que le processus de transition en cas de vacance du pouvoir?
Sur ce dernier point et dans la configuration politique actuelle, il est peut-être temps d’instituer un poste de vice-président juridiquement à même d’achever le mandat du Président élu en cas de vacance du pouvoir.
Dernière curiosité et une fois de plus, alors que son histoire se joue peut-être au cours de cette élection, le Cameroun risque encore de passer sous les radars de l’actualité car les relations internationales actuelles, à défaut d’être focalisées sur les crises russo-ukrainienne et israélo-palestinienne, sont plutôt tournées vers le repli sur soi.


