Trump à la Knesset : Le Théâtre du Pouvoir et la Diplomatie du Paradoxe

17.10.2025 - Éditorial

Il est des lois non écrites en politique, des forces telluriques qui gouvernent les allégeances. La plus immuable est sans doute cette gravité qui attire les puissances vers le pôle du succès. Presque tous aiment s’associer au vainqueur, à l’exception notable des ennemis irréductibles, des insensés et de ces opportunistes qui, guettant le sens du vent, finissent toujours par changer de camp. À l’heure où les chancelleries européennes, de Londres à Paris, de Bruxelles à Madrid, cherchent à s’attribuer une part d’un triomphe dont les protagonistes sont pourtant évidents, il convient de le rappeler : les États-Unis, sous l’impulsion d’un Donald Trump maniant une diplomatie sans fard, sont les véritables artisans de cette reconfiguration. Un succès que certains nient encore par dogmatisme et que de nombreux acteurs tentent aujourd’hui de s’approprier.

Une fois de plus, Donald Trump a fait la démonstration que son langage direct, son sens inné du spectacle et sa formidable intuition politique peuvent se muer en instruments d’une diplomatie d’une efficacité redoutable. Son intervention historique devant la Knesset ne sera pas seulement remémorée pour son ton ou sa mise en scène, mais pour l’alchimie magistrale avec laquelle il a combiné l’éloge, l’avertissement et la vision stratégique en un seul et même discours. Rarement un dirigeant étranger aura prononcé des paroles aussi audacieuses, chargées d’un tel symbolisme et d’une clarté si calculée, au cœur même du réacteur politique israélien.

Dès les premiers instants, Trump s’est comporté en archétype de la figure qu’il a patiemment façonnée. Il est la figure même que des penseurs français comme Guy Debord ou Jean Baudrillard auraient pu théoriser : un homme pour qui le spectacle n’est pas un simple outil de la politique, mais la politique elle-même, un simulacre où l’image et le réel fusionnent jusqu’à devenir indiscernables. Apparu détendu, conscient de la gravité de l’instant, il mesurait l’impact profond que chacune de ses phrases exercerait sur l’échiquier mondial. L’image, saisissante, des parlementaires israéliens l’applaudissant avec ferveur, certains arborant les iconiques casquettes rouges « MAGA », n’était pas un simple décorum ; c’était la manifestation visible de sa capacité à exporter une mythologie politique bien au-delà de ses frontières.

La Vérité comme Arme Rhétorique

Trump a entamé son intervention sur un ton résolument conciliant, remerciant Israël pour « son courage et sa détermination ». Cependant, sous cette couche soignée d’adulation se dissimulaient des messages d’une portée considérable. Dans l’une des phrases les plus significatives, il a exhorté les Israéliens à une transmutation de leur génie : « Si vous mettiez la même ingéniosité que celle avec laquelle vous vous défendez à créer, à innover et à bâtir, le résultat serait quelque chose d’inédit ».

Une telle admonestation, proférée depuis Jérusalem, requiert un courage politique extraordinaire. C’est bien plus qu’un conseil ; c’est un défi lancé à l’identité même d’une nation construite sur l’impératif sécuritaire. Comme le rappelait le grand maître de la diplomatie française, Talleyrand, « la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée ». Trump, lui, inverse l’axiome : il utilise la franchise la plus brutale comme le plus sophistiqué des masques, rendant ses intentions ultimes parfaitement opaques.

Son audace ne s’arrête pas là. Il a mentionné élogieusement le Qatar et « d’autres États arabes », reconnaissant leur rôle de médiateurs. Le silence qui s’est alors installé dans l’hémicycle était palpable. En agissant ainsi, Trump renforce son statut d’arbitre global, seul capable de faire dialoguer les irréconciliables. C’est ici qu’il rejoint, paradoxalement, la tradition de la Realpolitik d’un Henry Kissinger, pour qui « le rôle de l’homme d’État est de combler le fossé entre l’expérience et la vision ». Trump, à sa manière, comble ce fossé par la seule force de sa volonté et de sa personnalité.

La Diplomatie comme Continuation de la Guerre

Dans un autre moment clé, le président a tendu une main inattendue à Téhéran, affirmant que « la main de l’Amérique est ouverte si l’Iran choisit la paix », juste après avoir accusé le régime des ayatollahs de « semer la mort et la destruction ». Cette dualité calculée semble tout droit sortie du Prince de Machiavel, où il est conseillé au souverain de savoir « user de la bête et de l’homme ». Cette technique rhétorique qu’il maîtrise à la perfection lui permet de se placer au-dessus des orthodoxies diplomatiques. Son approche semble inverser l’adage de Clausewitz selon lequel la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Pour Trump, la diplomatie elle-même est la continuation de la guerre par d’autres moyens : une guerre psychologique, narrative et économique.

Le fait qu’une bonne partie du discours fut improvisée n’est pas un détail, mais la clé de son efficacité. Cette spontanéité calculée lui a permis de naviguer avec un naturel déconcertant de l’humour au défi, de l’ironie aux applaudissements nourris. Son geste envers le leader de l’opposition, Yair Lapid (« BB, comporte-toi bien avec lui, tu n’es plus en guerre et il me plaît beaucoup »), fut un coup de maître : un appel à l’unité nationale déguisé en familiarité, qui le positionne en parrain bienveillant de la scène politique israélienne.

L’Apogée d’un Règne Symbolique

L’apogée émotionnelle est survenue lorsqu’il a qualifié Jérusalem de « capitale éternelle et indivisible de l’État d’Israël ». Mais le « climax » politique fut atteint lorsqu’il a publiquement demandé au président israélien d’envisager un pardon complet pour Benjamin Netanyahou. À cet instant précis, la moitié de l’hémicycle seulement s’est levée, exposant au grand jour la fracture sismique qui traverse le pays.

En définitive, comme l’observait le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre, « La vraie diplomatie suppose toujours une certaine communauté de vues entre les parties. Mais la force reste le dernier argument. » Trump incarne cette vision où la puissance n’est pas un tabou, mais le levier premier pour remodeler le réel. Le spectacle, aussi brillant soit-il, devra encore faire la preuve de sa pérennité. Mais une chose est certaine : ce jour-là, à Jérusalem, Donald Trump n’a pas seulement prononcé un discours. Il a offert une performance qui a redéfini les limites du possible en politique internationale. Son héritage ne se mesurera peut-être pas en traités, mais dans la reconfiguration même de ce que nous pensions être l’art du possible.

Gustavo de Arístegui
Homme politique et diplomate espagnol, Gustavo de Arístegui est diplômé de l'Université pontificale de Comillas (ICADE) à Madrid. Il a d’abord exercé le droit (1987-1989), se spécialisant sur les questions d’immigration. Il a ensuite poursuivi une carrière diplomatique dès janvier 1990. D’abord comme chef de service au sein de la Direction générale de la politique étrangère pour l’Europe, puis comme directeur du Proche-Orient à la Direction générale adjointe pour le Moyen-Orient, où il notamment chargé du suivi de la guerre du Golfe. Après avoir été coordinateur des sanctions contre l’Irak en octobre 1990 à l’OCDE, il est affecté en avril 1991 à l’ambassade d’Espagne en Libye puis en Jordanie en 1993. Il est ambassadeur d’Espagne en Inde à partir de 2012. Entre 1996 et 2008, il poursuit une carrière politique, comme Directeur Général du Cabinet du ministre de l’Intérieur (1996-2000), puis comme député pour le Parti Populaire espagnol (2000-2008).