Collectif GenZ 212 : le gouvernement marocain à l’épreuve de la crise de légitimité politique

24.10.2025 - Regard d'expert

Le drame survenu à l’hôpital Hassan II d’Agadir, où plusieurs femmes enceintes ont perdu la vie en attente de césarienne, a plongé le Maroc dans une crise politique et sociale profonde. Cet événement tragique a été perçu comme le symbole de la défaillance du système de santé public.

La colère s’est propagée rapidement, portée par une jeunesse connectée, sensibilisée et frustrée par les priorités perçues de l’État, notamment l’investissement massif dans les infrastructures sportives (CAN 2025, Mondial 2030), jugé déconnecté des besoins urgents en santé, éducation et emploi.

La jeunesse marocaine se mobilise au travers du collectif GenZ 212, qui par sa structure est inédit pour le Maroc : il s’agit d’un mouvement horizontal, sans leader identifié, qui se revendique apolitique et citoyen, porté par des jeunes de la génération Z (nés après 1997), urbains, éduqués, mais marginalisés du débat public. Son mode de mobilisation est également sans précédent pour le pays : cela a débuté sur le réseau social Discord, avec des canaux par thème (santé, éducation, emploi, corruption), puis s’est propagé sur d’autres plateformes (Telegram, WhatsApp) pour les actions de terrain.

Les manifestants demandent une réforme du système de santé avec une hausse significative des moyens en termes d’équipements et de personnel, une amélioration de l’accès à l’enseignement et des infrastructures, ainsi que des politiques de lutte contre le chômage des jeunes. Plus généralement, les revendications appellent à renforcer la transparence politique et réorienter les priorités budgétaires vers les services publics essentiels à la vie quotidienne de la population. A l’inverse, les investissements massifs consentis pour l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations dans le pays en 2026 ou la Coupe du Monde 2030 illustrent la dichotomie entre les décisions du pouvoir marocain et les revendications portées par les manifestants. Rien que pour ce second évènement, les besoins d’investissement marocains sont estimés à 50 milliards de dirhams dont une partie significative devrait servir à la construction de stades. Les slogans des manifestants, « des hôpitaux, pas des stades », « santé avant foot » ou « jeunesse sacrifiée » illustrent les reproches de déconnexion faits aux dirigeants.

Le gouvernement ne peut, en l’absence de leader et de revendication claire au sein du collectif, trouver des interlocuteurs pour sortir de la crise, ni tenter de décrédibiliser un discours structuré. En réponse aux rassemblements illégaux, les autorités ont d’abord tenté de ralentir la progression du mouvement en poursuivant certains de ses organisateurs. L’Association marocaine des droits humains estime que les autorités ont procédé à l’arrestation de 600 personnes dont de nombreux mineurs. Trois décès ont également été recensés lors des affrontements.

Le pouvoir politique face à sa déconnexion

Face à l’impatience exprimée des jeunes de la GenZ, la classe dirigeante a tenté d’apporter des réponses aux contestations, au travers d’une double temporalité symbolisant la dualité tradition/modernité singulière au Maroc.

Lors du discours royal prononcé à l’ouverture de la session parlementaire le 10 octobre dernier, le roi du Maroc, dont le rôle est d’incarner la permanence et de fixer les caps stratégiques du pays, a rappelé la nécessité d’obtenir des résultats concrets aux politiques publiques – y compris à l’échelle locale –, de poursuivre les réformes déjà engagées et de moraliser la classe dirigeante. Plusieurs observateurs disent qu’il s’agit plus d’un discours de méthode et de fond que d’annonces choc. L’objectif visé n’était pas de répondre dans la précipitation à la crise politique que connaît le Maroc, mais plutôt de rassurer sur le temps long, sur la vision d’avenir du pays, qui vise précisément à répondre aux besoins que la jeunesse exprime. Comme symbole de ce cap stratégique, le roi Mohammed VI s’est rendu, trois jours après son discours, à l’inauguration du mégaprojet industriel d’assemblage de moteurs d’avion à Nouaceur, dont le site générera 900 emplois qualifiés à terme.

Le gouvernement, dont le rôle est d’assurer la gestion quotidienne du pays, s’est finalement résolu à sortir de l’immobilisme, en proposant, le 19 octobre, une série de mesures. La principale annonce concerne un effort budgétaire de 140 milliards de dirhams – soit de près de 13 milliards d’euros – consacrés à l’éducation et la santé. Celui-ci doit ainsi permettre la création de 27 000 postes au total dans les deux secteurs, la mise en service de deux Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) et la rénovation de 90 hôpitaux. S’agissant de l’éducation, l’exécutif souhaite notamment généraliser l’enseignement préscolaire. Certaines réformes attendues restent néanmoins en suspens. C’est notamment le cas du code de la famille – la Moudawana –, le code pénal ou la révision des statuts professionnels.

Quel avenir politique pour le Maroc ?

La crise actuelle pourrait bien mener – en plus de possibles avancées finalement obtenues – à une recomposition plus large dans le paysage politique. La piste privilégiée à ce jour est celle d’un remaniement partiel, visant principalement les ministres de la Santé et l’Éducation, ou des ajustements à la marge dans l’administration. Encore faut-il pourtant que les transformations soient suffisamment visibles pour satisfaire le désir de changement et ainsi mettre fin au mouvement. Si tel n’est pas le cas, un remaniement plus profond, y compris pour des portefeuilles stratégiques, devra faire émerger de nouvelles figures au détriment de celles qui incarnent aujourd’hui la crise et la dégradation des services publics. Elles auront pour mission d’incarner une plus grande proximité et de rompre avec la déconnexion des politiques publiques vis-à-vis des besoins de la jeunesse marocaine. A cette recomposition, pourrait s’ajouter des réformes visant à accélérer la décentralisation pour répondre aux critiques liées à la déconnexion des décideurs publics.

Si la crise se poursuit au même niveau d’intensité pendant plusieurs semaines, le pays pourrait connaître une transformation structurelle de sa vie politique. La menace d’une coalition entre les partis d’opposition lors des prochaines élections se renforce à l’aune des élections législatives de 2026. Une telle recomposition pourrait renforcer le rôle du Parlement et enclencher des réformes de fond, inspirées des revendications portées par la jeunesse ces dernières semaines.

Doha Lkasmi
PhD candidate et enseignante en science politique à Sciences Po Paris, diplômée en droit des affaires d'Assas et de la Sorbonne, et en War studies de King's College London, Doha LKASMI a un double cursus d'internationaliste et de juriste. Elle compte à son actif plusieurs expériences professionnelles en tant que chargée de mission en postes diplomatiques, conseillère en matière de sécurisation des investissements au Maroc et chercheuse en relations internationales au CERI et à Yale University. Doha LKASMI occupe le poste de Directrice générale adjointe du bureau ESL Rivington Maroc.