Le général de Gaulle avait, après la guerre de 1967, inauguré une « politique arabe de la France » consistant à établir avec les pays de cette partie du monde une relation apaisée – surmontant les tensions de la crise de Suez et de l’indépendance de l’Algérie – et visant à développer une coopération privilégiée avec des États proches et dont certains avaient été liés historiquement à nous. Notre image de pays pratiquant une diplomatie plus indépendante de Washington et plus « équitable » – notamment sur la question palestinienne – que la plupart de nos partenaires occidentaux, nous a valu le respect des pays arabes et nous a permis de développer une coopération fructueuse, en particulier avec l’Irak et certains pays du Golfe (surtout les Emirats Arabes Unis et le Qatar) .
A partir de la présidence de M. Sarkozy, nous avons été perçus comme plus proches des Etats-Unis et les débats en France sur les questions du voile et de la Burka nous ont fait apparaitre aux yeux de beaucoup dans le monde arabo-musulman comme étant un « pays ayant un problème avec l’Islam ». Notre image spécifique dans la région s’en est ressentie, même si nous avons conservé de bonnes relations avec la plupart des pays arabes (cf par exemple la « lune de miel » entre le président Sarkozy et le Qatar).
Sous la présidence de M.Macron, la relation s’est concentrée lors de son premier mandat sur les Emirats Arabes Unis – considérés à l’Elysée comme un « modèle » pour le monde arabe – et l’Egypte, avant de s’élargir à d’autres pays par la suite : Arabie Saoudite, Qatar, Irak, Liban, Algérie, Maroc. Notre politique a également connu des tergiversations au Liban, au Maghreb et sur la question israëlo-palestinienne, qui ont nui à sa lisibilité .
En près de cinquante ans, le monde arabe a beaucoup évolué et aujourd’hui son centre de gravité s’est déplacé vers l’Est – le Golfe – même si l’Egypte conserve un poids spécifique. Alors que plusieurs pays ayant connu les troubles des « printemps arabes » s’affaiblissaient, les pays du Golfe connaissaient un développement prodigieux en tablant sur la mondialisation et les nouvelles technologies . Aujourd’hui, ils ont acquis un « soft power » incontestable (grands projets économiques, tourisme, sports, culture, événementiel, communications…) et leur influence politique est déterminante : le prince héritier saoudien est devenu l’interlocuteur le plus ménagé par le président Trump, qui souhaite obtenir une reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite ainsi que de juteux contrats dans le Golfe.
En outre, avec la guerre de Gaza, les cartes sont redistribuées au Moyen Orient : l’« axe de la résistance » (les alliés de Téhéran : Hamas, Hezbollah, Houtis) est très affaibli après les frappes israéliennes et américaines, Israël domine stratégiquement la région, les pays du Proche Orient (Syrie, Liban, Palestine) ont besoin de l’assistance du Golfe et internationale pour se reconstruire, les États du CCEAG ont pour priorité leurs programmes de développement (les « Vision 2030 ») et pratiquent de plus en plus clairement une politique de pluri-alignement en évitant d’être embrigadés dans la compétition américano- chinoise. En réalité, le président Trump est désormais incontournable dans la région et les pays du Moyen Orient se positionnent en fonction de ses prises de position. Le problème est qu’il change souvent d’avis et ne respecte pas vraiment ses propres engagements, ce qui constitue un facteur d’incertitude pour tous . Néanmoins, il est clair qu’il est le seul à pouvoir faire pression sur Netanyahou et que les Iraniens ne recherchent en réalité d’arrangement qu’avec lui.
Dans ces conditions, que peut faire la France ?
La zone ANMO reste une région où notre pays conserve une influence significative. La France est d’ailleurs le pays européen le plus actif politiquement au Moyen Orient. Par ailleurs, c’est dans le Golfe qu’existent les opportunités de coopération les plus intéressantes pour nos entreprises au Moyen Orient. Cette zone est donc une priorité pour notre diplomatie.
Concrètement, nous avons aujourd’hui de bonnes relations avec le Maroc, l’Egypte, le Liban, la Jordanie, l’Irak et les Etats du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe. Nous devrions améliorer nos relations avec la Tunisie et la Libye et retrouver les voies d’un dialogue apaisé avec l’Algérie et Israël.
Mais nous devons être conscients que dans la recomposition du Moyen Orient, l’Arabie Saoudite et les autres États du Golfe auront un rôle déterminant : qu’il s’agisse de la reconnaissance d’Israël, de la reconstruction de la Syrie et du Liban, ou d’un arrangement avec l’Iran. Sur le fond, nous (Français et Européens) convergeons avec les pays du Golfe pour tenter de stabiliser le Moyen Orient, en recherchant une solution équitable et durable à la question palestinienne garantissant la sécurité d’Israël, en visant un arrangement avec l’Iran sur ses programmes nucléaire et balistique, et en proposant aux pays du Golfe un partenariat équilibré leur permettant de s’émanciper de la tutelle américaine et de développer avec notre participation leurs grands projets économiques. D’où l’importance de l’initiative franco-saoudienne sur la solution à deux Etats pour mettre un terme au conflit israëlo-palestinien et de nos efforts pour organiser un accompagnement euro-arabe de la mise en œuvre du plan Trump pour sortir de la crise de Gaza. Sur le plan de la coopération économique, nous devons adapter nos offres en prenant en compte les demandes des pays du Golfe en matière de localisation de la valeur ajoutée, de transfert de savoir-faire et de formation.
S’agissant des pays du Maghreb, du Liban et de la Syrie, nous devons continuer à nous appuyer sur les liens humains et culturels tissés par l’histoire pour pérenniser ces relations privilégiées et les renforcer par un partenariat adapté aux nouvelles donnes et technologies.
Quant aux relations avec les entités « non-étatiques », nous devons distinguer celles qui pratiquent le terrorisme (Hamas) – en les combattant – et celles dont nous ne partageons pas forcément les orientations mais qui ont une certaine représentativité dans la région, et avec qui nous devons conserver un dialogue critique pour faciliter la recherche de solutions apaisant les tensions de la région : Hezbollah, Houtis, Frères Musulmans.
Peut-on parler pour autant d’une « nouvelle politique arabe de la France » ? Ce n’est pas certain et ce n’est pas forcément nécessaire. L’important est de manifester notre intérêt constant pour cette zone et notre souhait de développer des partenariats renouvelés dans tous les domaines , tenant compte des demandes nouvelles de ces pays .
 
             
             
					 
						


