Côte d’ivoire : 89,77% et après ?

07.11.2025 - Regard d'expert

A 83 ans, Alassane Dramane Ouattara (ADO) a été élu pour un quatrième mandat de cinq ans à la tête de la Côte d’Ivoire. Mais cette élection n’est pas une fin en soi, elle ouvre en fait une nouvelle ère pour le pays qui peut déboucher sur une alternance démocratique dans cinq ans comme sur une nouvelle crise.

La Commission électorale indépendante (CEI) a proclamé le 27 octobre 2025 les résultats provisoires de l’élection présidentielle qui s’est tenue le samedi 25 octobre dernier dans un calme relatif. Le Conseil Constitutionnel a confirmé le 4 novembre, la réélection d’Alassane Ouattara, pour un 4ᵉ mandat, à la présidence de la République.

La participation a été évaluée à 50,10% par le Conseil Constitutionnel confirmant les résultats de la CEI, mais les suffrages exprimés ne représentent que 48,27% (4,18 millions de voix sur 8,7 millions d’inscrits), les bulletins blancs et nuls représentant 4,05% soit davantage au total que chacun des quatre autres candidats. ADO arrive largement en tête selon ces résultats avec 89,77% (3,7 millions de voix). Le dissident du PDCI, Jean Louis Billon arrive en deuxième position avec 3,04% (129 493 voix), suivi par Simone Ehivet avec 2,42% des voix (101 238 votes), puis Ahoua Don Mello 1,97% (82 508 voix) et enfin Henriette Lagou avec 1,15% (48 261 voix).

Une élection dans un calme relatif par rapport au passé

Selon les autorités, l’élection s’est déroulée à peu près partout dans le calme contrairement aux scrutins précédents qui ont toujours été l’occasion de violences. Lors de la présidentielle de 2020, environ 200 personnes avaient été tuées. Pour l’instant, seules dix morts sont attribuées à la tension électorale mais les circonstances de ces violences ne sont pas toujours très claires. Quelque 200 incidents ont été enregistrés allant du saccage de bureaux de vote à l’enlèvement d’urnes. Ces violences se sont essentiellement déroulées dans l’ouest et le centre du pays, soit des régions favorables à Gbgabo ou à Thiam, deux  leaders de l’opposition exclus du scrutin. Aucun des deux n’a appelé à soutenir un des candidats en lice pourtant issus de leurs rangs.

Résultat écrasant

Dans cette élection, on note que le pays est en quelque sorte littéralement coupé en deux, entre un Nord ivoirien qui s’est largement déplacé pour participer à l’élection et voter en faveur du président sortant, et une forte abstention dans le reste du pays où seuls les partisans du parti présidentiel RHDP semblent avoir voté en masse. Ainsi, dans le Nord, fief du président Ouattara et du Rassemblement des Républicains (RDR, formation politique à l’origine de la création du RHDP), ADO a fait un très bon score sans surprise : selon la CEI, 98,44 % à Séguela, 99,7 % à Kani ainsi que dans son fief de Kong, 98,1 % à Ferkessédougou ou encore 97,8 % à Sinématiali, à chaque fois avec une participation approchant les 100% dans ces zones rurales du pays. Il est même arrivé en tête à Dabhakala, le fief de son adversaire Jean Louis Billon.

Dans le Centre, le Sud-est et l’Ouest, on note que les partisans du président sortant ont voté massivement, ce qui veut dire que les ressortissants du Nord établis dans ces régions restent fidèles à ADO dans un environnement plutôt acquis à l’opposition du PDCI  pour le Centre ou du PPA-CI  pour l’Ouest et le Sud. Comme ces formations d’opposition n’ont pas voulu soutenir les candidats issus de leurs rangs, c’est comme s’ils avaient soutenu un boycott de fait de l’élection. En nombre de voix absolu, ADO a progressé par rapport à l’élection de 2020 passant de 3,03 millions à 3,7 millions . Alors qu’à l’époque, l’opposition avait officiellement boycotté le scrutin, la participation s’élevait à 53,9% pour 6,06 millions d’électeurs inscrits.

On comprend avec ces chiffres que le RHDP a largement bénéficié de l’augmentation du corps électoral, sans doute parce qu’il mobilise ses soutiens et les encourage à s’inscrire, ce que l’opposition fait beaucoup moins. Cette stratégie explique en partie la prédominance électorale du RHDP dans toutes les régions du pays depuis 2020. On peut donc déduire que le vote régionaliste qui caractérise depuis l’indépendance la politique ivoirienne est en train de s’estomper, mais que le vote ethnique reste très présent, notamment chez les militants issus du Nord déterminés à ne pas perdre le pouvoir.

Une opposition agonisante

Devant ces tendances écrasantes, Billon a reconnu sa défaite dès le soir du premier tour, appelant les Ivoiriens à se réunir pour continuer à bâtir la Côte d’Ivoire. Une façon de laisser entendre qu’il est prêt à travailler avec le vainqueur. Les autres candidats n’ont pas eu d’autre choix que de concéder leur défaite. A priori, seul Billon est RHDP-compatible et pourrait donc jouer un rôle aux côtés d’ADO. Il n’a pas dit pour l’instant s’il allait tenter de prendre la tête du PDCI qui l’a exclu quand il s’est lancé dans la course à la présidentielle. Mais ce qui est sûr c’est que le plus vieux parti de Côte d’Ivoire sort extrêmement affaibli de cette période électorale. Son président, Tidjane Thiam, en exil en France depuis mars 2025, a fait campagne sur les réseaux sociaux mais s’est aussi décrédibilisé auprès des électeurs en n’étant pas sur le terrain, ce qui n’est guère le comportement d’un chef, surtout lorsqu’il n’y a aucune menace réelle. Le PDCI va se recomposer, mais il y a fort à parier que nombre de caciques vont rallier la mouvance présidentielle au moins jusqu’aux prochaines présidentielles. Le Front Commun, qui rassemble Thiam et Gbagbo, a demandé dans un communiqué le 27 octobre « l’organisation de nouvelles élections crédibles, transparentes, inclusives et strictement conformes à la Constitution », dénonçant une « mascarade électorale » et un « coup d’État civil ».

Pro-Russe, Ahoua Don Mello va sans doute continuer à travailler pour eux mais peut aussi tenter de reprendre le PPA-CI puisque son président l’ex-chef de l’Etat Laurent Gbagbo a annoncé son retrait progressif de la vie politique et son départ de la tête du parti en janvier 2026. Il n’est pas certain que le PPA-CI survive en l’absence de son fondateur, et les rivalités vont sans doute se révéler rapidement, ce qui va affaiblir encore cette partie de l’opposition. D’autant que le FPI  très affaibli, que Don Mello a créé avec Gbagbo, est aujourd’hui aux mains de Pascal Affi N’Guessan, autre recalé de la course à la présidentielle.

L’ex-Première Dame, Simone Ehivet Gbagbo n’a pas réussi à percer chez les électeurs y compris ceux de l’extrême gauche ivoirienne en dépit de sa notoriété. Il est possible qu’elle finisse aussi par se retirer de la vie politique et passe le flambeau de son parti, le MGC (Mouvement des générations capables), à son allié Charles Blé Goudé. Pour l’instant, Simone Ehivet reste dans une posture d’opposition ouverte en affirmant que les résultats de la présidentielle « ne reflètent pas fidèlement la volonté populaire ». En cause, selon elle, « un système électoral inéquitable et verrouillé. (…) Le changement souhaité par le peuple ivoirien était à portée de main. Mais malheureusement, certains acteurs ont privilégié leurs calculs personnels, leur égoïsme et la division, au détriment de l’intérêt du pays », a-t-elle estimé.

Quant à Henriette Lagou, son score ne lui permet pas de peser dans la vie politique ivoirienne à moins de devenir un faire-valoir du pouvoir, par exemple en devenant ministre. Cela dit, son score a progressé puisqu’elle n’avait fait que 0,89% lors de sa précédente candidature en 2015. Le 27 octobre, dans une déclaration, elle s’est voulue apaisante et prête à coopérer en déclarant : « en républicaine et démocrate convaincue, respectueuse des institutions de la République et de la volonté du peuple souverain, je lui (ADO) adresse dès à présent mes sincères félicitations pour la confiance que les Ivoiriens lui renouvellent », avant d’ajouter qu’une « élection n’est pas une guerre, où il y a des ennemis à abattre. Le plus grand vainqueur doit être la Côte d’Ivoire ».

Un RHDP en danger d’implosion ?

S’il est encore une fois largement vainqueur, le RHDP ne sort pas forcément renforcé de la présidentielle. En effet, le parti est resté uni uniquement parce qu’ADO s’est porté candidat. Cette décision a permis de tuer dans l’œuf les velléités des caciques du parti qui ne rêvent que de devenir calife à la place du calife : Adama Bictogo, Patrick Achi, Kandia Camara, et tellement d’autres…

ADO va devoir rapidement désigner un dauphin, à la fois pour rassurer les Ivoiriens qu’il n’y aura pas de cinquième mandat, et pour démontrer son souhait de sortir par le haut en laissant un pays stable après son départ. Sa responsabilité vis-à-vis du RHDP est aussi en jeu afin que ce rouleau compresseur électoral reste une machine en ordre de marche pour son successeur. Pour maintenir son niveau de développement économique mais aussi social, face à la bombe démographique, la Côte d’Ivoire a besoin de stabilité et de sécurité pour rassurer partenaires et investisseurs.

Mais la tâche ne sera pas facile et des divisions peuvent se faire jour rapidement provoquant l’éclatement du parti si ADO ne construit pas un consensus autour du dauphin de son choix. Déjà en 2020, quand il avait désigné Amadou Gon Coulibaly pour lui succéder il y avait eu des mouvements de mécontentement au sein du RHDP. Le décès de son plus fidèle compagnon de route avait servi de justification à sa nouvelle candidature.

Un scénario possible

Le RHDP va sans aucun doute remporter les élections législatives prévues pour le 27 décembre 2025. ADO va probablement attendre cette échéance pour changer son gouvernement et nommer ou pas un nouveau Premier ministre. Mais ce qui sera particulièrement scruté, c’est le choix du prochain Vice-Président parce que c’est possiblement celui-là qui sera le dauphin désigné. Ensuite, ADO pourrait aller jusqu’à quitter la présidence de la République avant la fin de son mandat pour passer le relais à ce dernier, tout en gardant ou pas un certain temps la direction du RHDP afin d’assurer la cohésion. Reste à espérer qu’un accident de la vie ne vienne pas interrompre ce scénario rassurant.

Dans tous les cas, après le décès d’Henri Konan Bédié, le retrait progressif de Gbagbo, et celui probable d’ADO, on voit disparaître une génération politique qui a déterminé l’Histoire de la Côte d’Ivoire depuis la mort du père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny en décembre 1993. C’est leurs rivalités et leurs haines recuites qui ont été à l’origine des crises qu’a connues le pays, l’empêchant jusqu’à présent de connaître une seule alternance démocratique, contrairement à d’autres pays de la région comme le Bénin ou le Sénégal par exemple.

Emmanuel Goujon
Gérant de la société de conseils Approche Globale Afrique (AGA) qu’il a créée en 2011, Emmanuel GOUJON travaille depuis plus de 25 ans sur l’Afrique subsaharienne et notamment sur l’Éthiopie. Il a été journaliste et correspondant de guerre pour plusieurs médias, dont l’Agence France-Presse, basé pendant 13 ans en Afrique. Il est aujourd’hui spécialiste de la veille pays, de la prévention/gestion de crise et des relations publiques.