Madagascar connaît depuis plusieurs années une instabilité politique chronique. Malgré une relative stabilité qui n’aura duré qu’à peine dix ans, la présidence sous Andry Rajoelina n’a pas su traverser la crise cyclique à laquelle elle était confrontée, signe de la fragilité du pouvoir et de l’absence notoire d’un État régalien.
La Gen Z, mouvement de contestation issu de la jeunesse malagasy, a obtenu le renversement des autorités malagasy tenues pour responsables de priver la population de l’accès aux besoins les plus primaires, comme l’eau et l’électricité.
L’arrivée de Mickhaël Randrianirina, comme trop souvent serions-nous tentés de le dire, cristallise les attentes autour de mots devenus avec le temps galvaudés : renouveau, espoir, transition… Il semble toutefois que les nouvelles autorités s’y soient préparées et aient œuvré à ne pas répéter les erreurs qui avaient entaché la révolution « orange » de 2009, d’où le choix de marquer du sceau de la refondation la prise de pouvoir officielle du 17 octobre. Une première victoire leur est donc acquise : les révoltes et contestations sociales de la population ne seront pas qualifiées de coup d’État.
Vers un attelage militaire / gouvernement civil sous l’œil de la Gen Z ?
À l’heure de la composition du gouvernement et du Conseil de la Refondation, instance décisionnelle centrale et collégiale, il semble encore trop précoce de connaître la dimension et la portée politique du nouveau pouvoir, dual entre autorité militaire et technocratie civile. Mickhaël Randrianirina s’entoure de quatre hauts conseillers militaires, tandis que le Premier ministre, Herintsalama Rajaonarivelo, issu du monde économique, est chargé de la mise en œuvre des politiques publiques. Cette configuration témoigne d’une volonté de présenter un gage de sécurité à la population et à la communauté internationale.
Cependant, une nouvelle donne vient s’ajouter à l’équilibre du régime avec l’émergence d’un acteur inattendu : la Gen Z. Forte de son rôle moteur dans les dernières contestations qui ont jalonné l’automne malagasy, elle devient un représentant solide de la société civile et, in extenso, de la jeunesse qui représente à elle seule 62,8 % de la population malagasy.
Cette jeunesse entend jouer un rôle manifeste afin de ne pas être dépossédée de la contestation sociale dont elle est l’instigatrice et à l’origine de l’éviction du président déchu Andry Rajoelina. Elle se positionne ainsi comme un baromètre du processus de refondation. Sans son adhésion, la dynamique actuelle pourrait rapidement basculer vers une nouvelle phase de fragilité politique, qui demeure pour le moment une crainte pour le pouvoir en place.
En témoigne le dernier déplacement de Mickhaël Randrianirina à Tuléar, où il a rencontré plusieurs représentants de ce mouvement, tout en adressant des signaux forts aux populations du sud et des zones côtières de Madagascar.
Politique intérieure et défis à venir
À ce stade, la politique intérieure reste incertaine. Le Conseil de la Refondation détient le pouvoir exécutif avec des décisions qui, selon nos sources, outrepassent parfois la primature. Une manière d’agir qui ne dépare pas avec les régimes précédents, symbolisés par une hyperprésidence.
Toutefois, dans un contexte de transition politique, il convient de ne pas laisser apparaître davantage de fractures au sommet de l’État, sous peine d’offrir un mobile de déstabilisation à une autre faction politique ou militaire.
En revanche, il apparaît évident que l’enjeu prioritaire sur lequel sera jugé le colonel Mickhaël Randrianirina demeure la gestion de l’accès à l’eau et à l’électricité. Sans résultats significatifs dans un pays où les coupures peuvent atteindre jusqu’à 22 heures sans électricité, l’ensemble de la population disposera d’un instrument de mesure clair pour apprécier si les actions viennent étayer les discours séduisants des nouvelles autorités.
In fine, la capacité du gouvernement à produire des résultats tangibles dans un délai court sera déterminante pour légitimer la refondation.
Enjeux géopolitiques : Vers de nouvelles alliances internationales ?
Sur la scène internationale, la situation malgache attire l’attention de différents acteurs, signe d’une nouvelle dynamique géopolitique. La France a changé de position en se rapprochant de Mickhaël Randrianirina, avec la volonté de maintenir une relation bilatérale à plusieurs égards dans cette quête de refondation.
De son côté, le Conseil de la Refondation ne cesse de montrer une ouverture vers d’autres partenaires, notamment la Russie, avec une première interview de Mickhaël Randrianirina accordée à Sputnik, ou encore la réception remarquée de l’ambassadeur russe à Madagascar, Andrey Andreev, accueilli au palais présidentiel d’Iavoloha.
Si, de prime abord, cela peut être interprété comme une stratégie de diversification des alliances, la Russie ne peut se targuer d’être un nouvel acteur de la scène politique malagasy. Une histoire est partagée entre les deux pays, notamment sous les années Ratsiraka, où le communisme a été déployé sur la Grande Île. Plus récemment encore, la Russie a fait irruption dans la présidentielle malagasy en finançant entre six et neuf candidats, soit un quart des candidatures en 2018.
Mickhaël Randrianirina semble par ailleurs s’inspirer de ses homologues du Sahel dans la rhétorique, en utilisant par parcimonie un vocabulaire et des idées similaires, comme la volonté de réintroduire une malgachisation au sein du système scolaire.
S’il est encore trop tôt pour savoir s’il s’agit d’un flirt politique inscrit dans une stratégie du Conseil de la Refondation visant à reprendre la main face aux partenaires traditionnels comme la France, ou d’une réelle volonté de rupture diplomatique favorisée par le monde multipolaire, une chose est sûre : dans sa quête de renouveau, Madagascar attire de plus en plus les convoitises internationales, qu’il conviendra de capitaliser dans cette nouvelle ère emplie d’incertitudes.
Madagascar est à un tournant critique. Le projet de refondation porté par le général Randrianirina offre une opportunité de renouvellement institutionnel et social, mais il repose sur des équilibres fragiles : cohésion militaire et civile, adhésion de la jeunesse, capacité à produire des résultats tangibles et gestion prudente des alliances internationales.
Si ces conditions sont réunies, la refondation pourrait marquer le début d’une nouvelle ère pour le pays, offrant un véritable socle de développement. À l’inverse, tout déséquilibre pourrait rapidement replonger Madagascar dans une nouvelle phase de déstabilisation, compromettant ses perspectives.
La trajectoire malgache sera donc un indicateur précieux pour mesurer les défis contemporains des transitions politiques face au poids et à l’influence d’une jeunesse qui entend jouer un rôle prégnant dans le jeu démocratique.


