La visite du Président Macron en Chine

12.12.2025 - Éditorial

La visite du Président de la République en Chine du 3 au 5 décembre 2025, se situe dans un contexte de confrontations entre grands ensembles où la France a cherché à pousser la notion « d’autonomie stratégique » qu’elle veut développer avec l’Union Européenne .Ce cadre de confrontations a connu ces derniers mois des évolutions généralement défavorables pour les intérêts européens .

D ’abord  la  relation s’est détériorée entre la Chine et l’Union européenne avec un désaccord persistant sur la question des surcapacités chinoises lors du sommet Union Européenne Chine du 24 juillet qui a conduit la présidente de la Commission, Mme von der Leyen, à constater que l’on avait atteint avait atteint un « point d’inflexion », la Chine demeurant un « « rival systémique » tandis que le déficit commercial de l’UE avec la Chine a quadruplé en volume et doublé en valeur depuis 2015 pour atteindre 306 milliards de dollars en 2024.

Ensuite, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine qui traduit la rivalité stratégique entre ces deux pays dans la course à la maîtrise des hautes technologies avec  ses conséquences stratégiques  sur les normes qui s’imposeront aux utilisateurs de ces technologies connait ,certes, une trêve  depuis la rencontre de Busan en Corée-du-Sud entre Donald Trump et Xi Jinping  le 31 octobre, ce qui a permis pour un an de régler la question des approvisionnements des États-Unis en terres rares, mais aussi de l’Europe. Pourtant rien n’est réglé et la Chine a pris la main.

Enfin la guerre en Ukraine et la recherche d’un accord à travers le plan de paix proposé par les Américains fait l’objet de négociations dans lesquelles les Européens cherchent à être présents tandis que les affrontements sur le terrain se durcissent et que la relation entre la Chine et la Russie s’est continuellement renforcée comme on l’a vu au sommet de l’organisation  de la coopération de Shanghai à  Tianjin fin août .

Sur le plan intérieur chinois , la visite du Président français a eu lieu  dans un contexte où la Chine mobilise ses moyens depuis la présentation en octobre au 4éme plenum du PCC du projet de 15e plan quinquennal (2026 2030) qui a d’une part renforcé la position du président Xi Jin Ping et d’autre part  ciblé les allocations budgétaires des cinq prochaines années sur la science et la technologie, l’industrie manufacturière et une production « de haute qualité » avec un effort continu notamment sur l’intelligence artificielle, l’énergie propre et les biotech .

La Chine est en effet en position de force récoltant désormais les fruits de son programme « Manufacturing China 2025 » lancé il y a dix ans et qui lui a permis de constituer des championnats nationaux devenu champions mondiaux dans tous les domaines des hautes technologies. On sait par ailleurs qu’elle détient 70 % des stocks de terres rares tandis qu’elle a 90% des capacités de raffinage. Le 15ème plan sera adopté définitivement en mars 2026 lors de la réunion annuelle des assemblées chinoises. A travers ce plan , la Chine se montre inflexible, , compétitive  et elle s‘impose en se rendant indispensable au reste du monde en tant que leader des technologies les plus pointues.

C’est donc dans ce contexte que le Président de la République a été accueilli en Chine où il a fait l’objet d’attentions particulières qui sont celles réservées à la France du Général De Gaulle . Le Président Xi Jinping  a notamment accepté de façon exceptionnelle d’être à ses côtés pour une déclaration à la presse à Pékin et souhaité l’accompagner à Chengdu dans le Sichuan pendant une journée.

Quel bilan tirer de cette visite qui était la 4ème visite d’Etat d’Emmanuel Macron en Chine ?. Une délégation d’une trentaine hauts responsables de l’économie française accompagnait le Chef de l’Etat.

Le Président de la République a souhaité d’abord plaider pour une relation économique plus équilibrée avec la Chine sachant que le déficit commercial de la France avec Pékin a doublé en 10 ans pour atteindre près de 50 milliards et a souligné à plusieurs reprises le désir de la France  d’une « plus grande autonomie stratégique pour l’Europe ».

Une douzaine d’accords ont été signés qui sont plutôt des orientations que des engagements concrets , que ce soit dans l’énergie avec la promesse de poursuivre la coopération dans le domaine du nucléaire , de la santé , de  l’aéronautique où la promesse d’achats d’Airbus ne s’est pas concrétisée . Aucun accord n’a été signé concernant des d’investissement chinois en Europe.

Le président chinois de son côté, a insisté sur le fait que « les interdépendances ne doivent pas constituer un risque et que les intérêts communs ne représentent pas une menace ». Le contexte des relations commerciales de la Chine avec les États-Unis a manifestement pesé lourdement sur la capacité des Chinois à s’engager vis-à-vis de l’Union européenne ou de la France en particulier.

La politique française vis-à-vis de la Chine continue à se jouer sur plusieurs plans. D’abord rechercher le développement des échanges avec la Chine et amplifier les engagements d’investissements mais aussi atténuer les risques et multiplier les sauvegardes notamment à travers le durcissement des règles européennes concernant le contrôle des investissements et des technologies critiques. Et on a vu par ailleurs que  la France a pris des dispositions de fermeté face aux importations chinoises à bas prix et le site Web du détaillant chinois Shein en France a été bloqué et le cas porté devant les tribunaux.

On peut avoir l’impression que la Chine cherche à tirer parti des faiblesses de l’industrie française et européenne. Beaucoup de sujets n’ont pas été abordés publiquement . La question des barrières douanières destinée à faire face à l’importation de voitures électriques subventionnées et la riposte chinoise avec des tarifs visant le cognac et les produits agricoles semble loin d’être complètement résolue. Aucun commentaire public n’a été fait sur la question des terres rares et par ailleurs Taiwan n’a pas non plus été évoqué. Le Président français a encouragé la Chine à stimuler sa consommation intérieure tout en reconnaissant que l’Europe devait gagner en compétitivité. Il a souhaité il a exprimé le souhait d’accroître les investissements directs chinois en France et en Europe.

L’important était certainement que cette visite puisse avoir lieu dans le contexte de confrontation actuelle entre les différents acteurs du monde. Le président Macron a réussi à maintenir une relation de confiance avec le président chinois ce qui lui permet d’évoquer tous les sujets. L’insistance de la France à vouloir engager la Chine à s’interposer dans le conflit russo-ukrainien s’est avérée une fois de plus inopérante, le président chinois soulignant « le soutien constructif de la Chine à toute solution à la crise ukrainienne » et s’opposant fermement à « toute tentative irresponsable visant à rejeter la faute ou à diffamer quiconque ». La Chine frontalière de la Russie sur plus de 4000km et en cours d’affermissement de ses relations avec Moscou pour son approvisionnement en énergie ne saurait par ailleurs renier son engagement dans le cadre des BRICS qui repose essentiellement sur un rejet de l’Occident qu’elle partage avec la Russie .

La Chine est préoccupée en priorité par la stratégie américaine de « containment » et l’intérêt premier de Pékin à recevoir le Président français était sans doute  de tirer parti de la capacité d’entrainement de la France au sein de l’Union européenne pour détourner la volonté américaine d’embarquer les Européens dans une croisade anti-chinoise. Cet objectif sera certainement poursuivi avec la visite annoncée du Premier Ministre britannique Keir Starmer avant la fin de l’année puis celle du chancelier allemand Merz au début de 2026.

 

Maurice Gourdault-Montagne
Maurice Gourdault-Montagne est diplomate de carrière, et a alterné entre de hautes responsabilités à l’étranger et en administration centrale. Il a ainsi été ambassadeur de France au Japon (1998-2002), au Royaume-Uni (2007-2011), en Allemagne (2011-2014), puis en Chine (2014-2017). A Paris, il a été porte-parole du Quai d’Orsay (1991-1993) et directeur adjoint puis directeur du cabinet d’Alain Juppé, lorsque ce dernier était ministre des Affaires étrangères (1993-1995) puis Premier ministre (1995-1997). Il devient ensuite conseiller diplomatique et Sherpa G7/G8 de Jacques Chirac à l’Elysée (2002-2007), et enfin secrétaire général du Quai d’Orsay (2017-2019). A l’issue de sa carrière diplomatique, il intègre le Boston Consulting Group et rejoindra le Groupe Adit et ESL Rivington en tant que Senior Advisor en octobre 2023.