L’élection du président Massoud Pezeshkian avait laissé penser que le régime cherchait à apaiser ses relations avec l’Occident. Une tendance qui semble désormais dépassée.
Les indices s’accumulent. Si la politique iranienne pouvait récemment être lue comme une main tendue à l’Amérique, suite à l’élection du président réformiste Massoud Pezeshkian en juillet dernier, les partisans d’une ligne dure ont marqué ces derniers jours plusieurs victoires. Dimanche 2 mars, le ministre de l’Économie et des Finances Abdolnaser Hemmati est évincé par le Parlement après un vote de confiance défavorable. Quelques heures plus tard, c’est le vice-président Mohammad Javad Zarif qui présente sa démission, pour la seconde fois. Dans le viseur des ultraconservateurs, l’ancien diplomate défendait la nécessité de restaurer un dialogue avec l’Occident pour obtenir une levée des sanctions. Une perspective qui semble s’éloigner, alors que le spectre d’une frappe israélienne sur les infrastructures nucléaires de l’Iran prend de l’ampleur sous l’administration républicaine de Donald Trump et que Téhéran s’est dit opposé à des pourparlers directs sous pression. Le durcissement de la position iranienne traduit-il une décision d’aller au bout de la logique de dissuasion par le nucléaire ou plutôt une technique de négociation pour être en meilleure posture face à Washington ?
La nouvelle ligne semble en tout cas s’être affirmée après la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche, où il s’est retrouvé attaqué par son homologue américain et son vice-président JD Vance en raison de leurs divergences sur la Russie. « L’humiliation de Zelensky par Trump a donné des munitions à ceux qui veulent voir Zarif évincé, arguant que les discussions avec les brutes américaines ne peuvent que mal finir », a analysé sur X Patrick Wintour, rédacteur diplomatique du Guardian, alors que le vice-président était le négociateur en chef de l’accord sur le nucléaire de 2015. « Il y a un État profond qui ne veut pas de négociations avec les États-Unis, qui a plutôt intérêt au maintien du régime de sanctions, alors qu’il bénéficie des ventes illégales de pétrole », indique Ali Fathollah-Nejad, fondateur et directeur du Center for Middle East and Global Order (CMEG).
Changement de ton du régime iranien
En place depuis près de six mois, le régime iranien paraissait jusque-là prêt à discuter des modalités d’un nouveau deal après les revers subis par l’« axe de la résistance » depuis le 7 octobre 2023. Et alors que l’accord de Vienne arrive en outre à expiration en octobre, date avant laquelle les pays signataires pourront activer la clause de « snapback » en cas de violation du deal pour remettre en place toutes les sanctions onusiennes contre l’Iran. Une perspective négative qui s’ajoute à la crise économique qui continue de s’aggraver, le dollar s’échangeant contre près de 950 000 rials dans les rues de Téhéran, contre 600 000 en juillet dernier, lorsque le réformiste Massoud Pezeshkian a été élu à la présidence. En 2015, année de la signature du JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action), le taux de change s’établissait à 32 000 rials pour 1 dollar.
Défendant son ministre de l’Économie et des Finances à la tribune du Parlement lors de son vote de confiance, le président iranien a déclaré : « les problèmes économiques de la société aujourd’hui ne sont pas liés à une seule personne, et nous ne pouvons pas tout mettre sur le dos d’une personne ». Reste que l’éviction du ministre puis l’annonce de la démission du vice-président Zarif représentent des camouflets pour la ligne réformiste du régime, qui comptait sur une levée des sanctions occidentales pour redresser le pays. « Personnellement, je crois qu’il est meilleur de dialoguer. Mais quand le guide suprême a dit que nous ne négocierons pas avec les États-Unis, j’ai annoncé qu’il n’y aurait pas de dialogue », a ainsi admis devant les parlementaires Massoud Pezeshkian, pointé du doigt comme une simple marionnette de l’ayatollah Ali Khamenei.
« Désarmement de la République islamique »
Quelques jours avant, son ministre des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, avait déclaré qu’il n’y aurait pas de pourparlers sous la pression ou les menaces, en référence aux premières sanctions imposées sous la nouvelle politique de « pression maximale » de l’administration Trump . Dans le viseur de Washington : le pétrole iranien, première source de revenus du pays et vendu en premier lieu à la Chine. Après avoir désigné une trentaine d’entités faisant partie de la « flotte de l’ombre » du régime et lui permettant d’écouler son or noir – bien qu’à prix réduit –, l’administration Trump a en outre imposé des sanctions sur des compagnies fournissant à l’Iran des équipements nécessaires à sa production de drones et missiles. Alors que la Maison-Blanche s’est affichée en faveur d’un deal nucléaire plutôt que de l’option militaire, poussée par son allié israélien, les dossiers des activités régionales de l’Iran et de son programme balistique ne pourront cette fois en être dissociés.
Les Iraniens sont dans une position difficile, où ils craignent qu’un deal avec Trump finisse en capitulation, ou comme (le président conservateur du Parlement, Mohammad-Bagher Ghalibaf) l’a dit, au “désarmement de la République islamique d’Iran” », souligne Ali Fathollah-Nejad. Téhéran cherche ainsi à montrer les muscles, les forces armées ayant notamment multiplié ces derniers mois les exercices militaires et les présentations de nouveaux équipements militaires pour prouver leurs capacités de nuisance. Le New York Times rapportait en outre début février que des informations obtenues par les États-Unis faisaient état d’une équipe secrète d’ingénieurs militaires iraniens qui chercherait à développer un moyen plus rapide de créer une bombe atomique, bien que moins sophistiquée que celle que Téhéran souhaiterait produire. La recherche ne serait cependant mise en pratique que si la République islamique changeait d’approche par rapport au nucléaire, les renseignements occidentaux n’ayant pas perçu jusqu’à présent de signaux en ce sens.
Médiation de la Russie entre Washington et Téhéran ?
Officiellement, le programme atomique iranien est destiné à un usage strictement civil, excluant toute utilisation militaire. Suite aux frappes israéliennes inédites sur son territoire en avril 2024, répondant au lancement par Téhéran de plus de 300 missiles et drones sur l’État hébreu, la République islamique avait néanmoins laissé flotter l’idée d’un changement de sa doctrine nucléaire. Une menace réitérée après les dernières attaques israéliennes en territoire iranien, le 26 octobre dernier, qui auraient détruit toutes les défenses antiaériennes du pays. Au moment où les menaces de l’État hébreu se multiplient pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme atomique, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) s’est alarmée de l’augmentation « très préoccupante » des réserves d’uranium enrichi à 60 % de l’Iran, dans un rapport confidentiel consulté par l’AFP fin février. “Comme par le passé, la prétendue stratégie d’escalade nucléaire de l’Iran est censée servir de monnaie d’échange et de levier face à l’Occident”, rappelle Ali Fathollah-Nejad. Et c’est encore plus le cas aujourd’hui, même “s’il n’est pas sûr que ça marche face aux menaces israéliennes de frapper des sites nucléaires, potentiellement soutenues par Trump”.
Alors que les États-Unis et la Russie procèdent à un rapprochement, Téhéran pourrait cependant bénéficier de la médiation de Moscou, pour laquelle le président américain aurait exprimé son intérêt, selon des sources citées par Bloomberg. Depuis l’invasion russe il y a plus de trois ans, les liens entre le Kremlin et la République islamique se sont resserrés, la seconde fournissant notamment des drones au premier. La question d’un rôle intermédiaire de Moscou aurait été abordée mi-février lors d’un appel téléphonique entre Donald Trump et Vladimir Poutine, puis durant la première rencontre de hauts responsables des deux pays depuis le début de la guerre en Ukraine, qui s’est tenue en Arabie saoudite. Dans le même temps, le locataire de la Maison-Blanche maintient une pression élevée, son secrétaire d’État Marco Rubio ayant signé vendredi un décret accélérant une vente d’armes de près de 4 milliards de dollars à Israël. Le Premier ministre Benyamin Netanyahu a réagi en remerciant le président américain d’avoir autorisé cet envoi d’équipement, qui permettra de « finir le travail contre l’axe iranien de la terreur ».