L’intervention surprise de Donald Trump dans leur conflit avec le Pakistan n’a pas réjoui les dirigeants indiens, refroidissant les espoirs d’un alignement stratégique sans ambiguïtés, analyse Philippe Le Corre.
Le 7 mai 2025, le Pakistan avait essuyé les assauts des drones et missiles de l’Inde – cette dernière s’estimant largement légitime après une attaque terroriste causant la mort de 26 touristes indiens le 22 avril à Pahalgam, au Cachemire. À la suite de l’intervention militaire indienne, un conflit intense s’était déroulé pendant trois jours dont le bilan humain et militaire reste imprécis.
Mais intéressons-nous aux protagonistes extérieurs à ce conflit. Dès le 7 mai, plusieurs acteurs étaient entrés dans le jeu, parmi lesquels l’Iran, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Royaume-Uni, la Chine et les Etats-Unis. On se souvient que le président Donald Trump – dont le gouvernement semblait peu intéressé au départ – s’était targué ensuite d’avoir joué un rôle clé dans la résolution du conflit. Ce qui n’a jamais été confirmé par l’Inde : fidèle à sa doctrine, cette dernière minimise toute intervention étrangère dans ce qu’elle considère comme un dossier bilatéral.
62 milliards de dollars chinois investis au Pakistan
Les Etats-Unis ont vu leur influence décroître très sérieusement ces dernières années dans la région. Depuis le départ précipité de leurs troupes d’Afghanistan en août 2021, on peine à circonscrire leur stratégie. La Chine est devenue plus présente à Kaboul sous le règne des Talibans, et elle entretient une grande proximité avec le Pakistan.
Economiquement, Pékin a lancé en 2015, dans le cadre de ses « nouvelles routes de la soie » un méga investissement de 62 milliards de dollars au Pakistan afin de faire du port de Gwadar sa porte d’entrée vers l’océan Indien. Impossible pour ces deux pays de faire machine arrière, malgré les retards et les problèmes sécuritaires qui ont entaché le projet. En l’absence d’une présence militaire américaine en Afghanistan, les chefs de l’armée pakistanaise se sont quant à eux éloignés du Pentagone.
Trump entend pratiquer sa diplomatie disruptive en Asie, au risque de mécontenter l’Inde qui voit d’un mauvais oeil le retour d’un dialogue pakistano-américain
L’intervention-surprise de Trump auprès des belligérants n’a pas réjoui les dirigeants indiens, qui pensaient avoir tissé un lien privilégié avec lui. Or il entend pratiquer sa diplomatie disruptive en Asie, au risque de mécontenter l’Inde qui voit d’un mauvais oeil le retour d’un dialogue pakistano-américain. Depuis une vingtaine d’années, New Delhi s’était rapproché des Etats-Unis, un partenariat « naturel » s’étant développé.
Partenariat indo-américain
On connaît aussi la bonne relation entre Trump et Narendra Modi , premier chef de gouvernement accueilli à la Maison-Blanche, dès février 2025. Les deux pays collaborent sur le plan militaire à travers le « Quad ». Les échanges économiques et scientifiques indo-américains ne cessent de croître.
Pour autant, le conflit indo-pakistanais – qui a causé des millions de morts depuis l’indépendance de l’Inde, puis du Pakistan et du Bangladesh entre 1947 et 1971 – est une affaire extrêmement grave qui pèse sur la diplomatie régionale. Il est difficile pour une puissance de s’impliquer d’une manière ou une autre, sans avoir une stratégie précise dans cette région, ce qui est devenu le cas de Washington.
Au Département d’Etat, les spécialistes du sous-continent indien sont devenus rares, à l’image du désengagement américain depuis plusieurs administrations. Les Etats-Unis sont obnubilés par la Chine, et ont fini par traiter l’Inde comme une puissance de substitution, ou au mieux comme un levier stratégique. Ce qui est mal connaître les Indiens.
Frein aux intérêts indiens
Certes, l’Inde cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie, qui représentait encore 36 % de ses importations d’armement en 2024. New Delhi s’efforce de renforcer ses liens avec les Etats-Unis à l’image de la récente commande indienne d’avions de combat F-35. Mais l’intervention américaine dans le conflit de mai, perçue comme un frein aux intérêts indiens, a refroidi les espoirs d’un alignement stratégique sans ambiguïtés.
L’Inde reste également sensible aux conditions économiques : elle négocie un accord bilatéral avec Washington afin d’éviter l’imposition de tarifs douaniers de 26 % , temporairement abaissés à 10 % pour une période de 90 jours. Cette pression commerciale est perçue comme un levier politique qui fragilise la notion de partenariat équitable. Pendant ce temps-là, la Chine tente de calmer le jeu à l’égard de New Delhi car elle a entrepris d’énormes investissements qui devraient lui assurer un rôle majeur dans une région en théorie dominée par l’Inde.
Publié par Les Echos le 01/06/2025