Que penser du rapport sur les Frères Musulmans en France ?

10.07.2025 - Regard d'expert

Le rapport qui a été rendu public le 21 mai sur la confrérie des Frères Musulmans [NDLR : « Frères musulmans et islamisme politique en France » publié par le ministère de l’Intérieur] est un document utile sur un sujet mal connu, qui préoccupe néanmoins les Français quant à la menace que représente l’Islam politique pour notre démocratie et notre modèle d’intégration. C’est une étude largement documentée qui apporte des informations intéressantes sur le phénomène, permettant de nourrir un débat nécessaire si nous voulons éviter une dérive communautariste de notre société.

Elle souffre cependant de lacunes qui risquent de mener à de fausses pistes de solution :

1/ Le rapport est d’une façon générale trop descriptif, sans donner les éléments permettant d’appréhender sur le fond le problème : L’historique du mouvement est rappelé, mais on n’explique pas suffisamment le contexte de sa création, qui éclaire pourtant ses objectifs.

Le projet défini dans les années 20 par Hassan Al-Banna est en effet contemporain de l’essor des mouvements fascistes en Europe, auxquels il emprunte de nombreuses caractéristiques : l’organisation pyramidale et les méthodes d’influence, la contestation des élites traditionnelles, le nationalisme… A cela près qu’à l’époque, l’apologie de la patrie n’était pas évidente dans un contexte encore colonial et qu’elle s’est naturellement reportée sur la religion, en opposition aux pouvoirs coloniaux occidentaux (britanniques et français). L’Islam a donc été utilisé à des fins politiques avec pour objectif de prendre le pouvoir, et c’est ce facteur qui caractérise les Frères Musulmans par rapport à d’autres mouvements religieux, en particulier le wahhabisme. Ce dernier préconise, lui, une interprétation littérale – donc conservatrice – du Coran, mais n’a pas d’ambition politique. Il est même précisé par le prédicateur Abdel Wahhab que le bon musulman doit obéir à son prince, sauf si celui-ci contrevient aux préceptes du Livre saint.

Les Frères Musulmans ont été, eux, pourchassés par le président Nasser, car leur Islam politique n’était pas compatible avec le panarabisme du raïs égyptien. En revanche, les pays du Golfe ont accueilli à bras ouverts ces réfugiés qui étaient pour la plupart des enseignants, utiles à la formation de leur jeunesse. Mais, à l’exception du Qatar, les autorités de ces pays se sont ensuite rendus compte que l’orientation politique contestatrice des Frères Musulmans était dangereuse pour leurs propres régimes et elles les ont à leur tour pourchassés.

Néanmoins toute une génération de Jeunes a donc connu une formation hybride -influencée par la doctrine frèriste – qui a engendré le mouvement djihadiste dont Oussama Ben Laden a été la figure emblématique. Il est donc exact de parler – comme le fait le rapport, mais sans l’expliquer – d’hybridation du Wahhabisme et de la doctrine des Frères musulmans dans la pensée djihadiste.

2/ Le rapport fait, à plusieurs reprises, mention du Qatar comme protecteur et soutien des Frères Musulmans, en se référant en particulier à la prédication du cheikh Al Qardawi sur la chaine Al Jazeera. Effectivement cet imam a joué un rôle important au Qatar, notamment au moment de l’ouverture du pays en 2000, où il a émis une fatwa rendant licite le vote des femmes. Cependant il est exact – comme le souligne le rapport – qu’il a été dans ses prêches un promoteur zélé de la doctrine des Frères Musulmans. De même, lors des printemps arabes en 2011, il est vrai que les autorités qataries ont soutenu les pouvoirs Frères Musulmans qui s’installaient en Egypte et en Tunisie et leurs combattants en Syrie et en Libye, avec l’idée que Doha pourrait devenir en quelque sorte le « parrain du nouveau monde arabe ». Toutefois, après la chute du président Morsi au Caire, le gouvernement qatari a pris des engagements clairs pour mettre un terme au financement du mouvement. Il reste que certains « mécènes » privés – au Qatar et ailleurs – continuent de soutenir les Frères Musulmans, mais on ne peut plus accuser l’émirat en tant que tel de le faire.

3/ Le rapport ne fait pas mention du rôle important de l’Arabie Saoudite aujourd’hui pour promouvoir un « Islam du juste milieu», qui s’éloigne des préceptes rigoristes du Wahhabisme. Il est important de le reconnaitre quand on sait l’influence dans le monde musulman qu’a le royaume dont le souverain est « Gardien des Deux Lieux Saints » de l’Islam. En outre, le secrétaire général de l’Organisation de la Conférence Islamique, le cheikh Mohammed Al Issa (ancien ministre saoudien de la Justice), a une action positive largement reconnue pour appeler au dialogue entre civilisations et mettre en garde contre la haine religieuse. Ce nouveau positionnement de Riyad doit donc être saisi pour coopérer avec le royaume dans la lutte contre l’idéologie frèriste.

Ce rapport sur les Frères Musulmans en France vient à temps pour alerter l’opinion publique sur les activités – souvent clandestines – de ce mouvement promouvant des comportements communautaristes au sein de la population musulmane française, qui sont dangereux pour notre modèle de société. En outre, l’expérience frèriste en Egypte a montré qu’une fois au pouvoir, les Frères Musulmans ne respectaient pas les principes démocratiques.

Cela étant, il faut être conscient que si le Qatar et l’Arabie Saoudite ont à une époque eu une action ne favorisant pas l’assimilation de la communauté musulmane dans notre pays, aujourd’hui ces deux pays se comportent à l’égard de la France en partenaires appréciés.

Les prédicateurs islamistes viennent en réalité d’autres pays musulmans et la lutte contre l’Islam politique doit donc viser ceux qui en sont les vrais promoteurs, et pas ceux qui ont amendé leur politique dans le bon sens.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.