Sanctions américaines contre des institutions mexicaines : la menace silencieuse qui pèse sur les conseils d’administration

10.07.2025 - Éditorial

L’annonce, fin juin, par le département du Trésor américain, de sanctions visant trois institutions financières mexicaines a suscité une onde de choc discrète mais profonde dans les cercles de la gouvernance d´entreprise. CIBanco, Intercam Banco et Vector Casa de Bolsa sont accusées d’avoir servi de relais au blanchiment d’argent du crime organisé — en l’occurrence, des cartels mexicains désormais considérés comme des entités terroristes.

Cette requalification ouvre une nouvelle ère de risques systémiques pour les entreprises ayant des liens, même indirects, avec le marché mexicain.

Vers une extraterritorialité renforcée du risque pénal

Les cartels mexicains — CJNG, Sinaloa et Cartel du Golfe — ont été officiellement désignés comme « organisations terroristes étrangères » (FTO) par l’administration américaine à travers le décret présidentiel EO 14157 du 20 janvier 2025. Ce texte active un arsenal de sanctions permettant de bloquer les avoirs, d’interdire tout accès au système financier américain et de sanctionner leurs soutiens matériels, y compris involontaires. Toute entreprise ou dirigeant lié directement ou indirectement à ces entités peut désormais faire l’objet de mesures coercitives extraterritoriales.

Le cadre s’inscrit dans la continuité du Fentanyl Sanctions Act de 2019, mais le décret Trump  le rend désormais opérationnel sans délai. Les régulateurs peuvent sanctionner toute organisation dont les flux financiers, les partenaires ou les prestataires sont suspectés de soutenir les cartels impliqués dans la production et la distribution de fentanyl.

Un précédent est bien connu : en 2007, Chiquita Brands fut condamnée à verser 25 millions de dollars pour avoir versé, entre 1997 et 2004, 1,7 million à un groupe paramilitaire colombien, l’AUC. Bien que les paiements aient été motivés par des considérations de sécurité, la justice américaine a retenu la qualification de soutien matériel au terrorisme.

Un effet domino sur les chaînes de valeur

Derrière ces sanctions ciblées, c’est l’ensemble des chaînes d’approvisionnement, de financement et de gouvernance qui se trouvent exposées. Plusieurs multinationales ayant recours à des prestataires mexicains, des transporteurs locaux ou des trusts domiciliés dans ces banques pourraient se retrouver prises dans la mécanique extraterritoriale des régulateurs américains. La simple existence d’un flux ou d’un contrat lié à une entité désormais frappée par les sanctions peut déclencher des ruptures bancaires, des enquêtes internes, voire des procédures judiciaires transfrontalières.

Les comités d’audit face à un devoir renforcé de vigilance

Dans ce contexte, les conseils d’administration sont désormais en première ligne. La jurisprudence américaine récente assimile l’inaction, la négligence ou le défaut de supervision à une forme de complicité passive. Les comités d’audit et des risques doivent impérativement intégrer ces paramètres dans leurs travaux : révision des cartographies de risques, vérification des liens contractuels avec le Mexique, renforcement de la culture de conformité, audit des politiques KYC et évaluation des contreparties sensibles.

Certains cabinets spécialisés évoquent déjà des stress tests de conformité en cours dans des groupes européens exposés aux marchés mexicains ou latino-américains, notamment dans les secteurs de l’agroalimentaire, du transport, de la logistique ou de la chimie.

Veille géopolitique et anticipation réglementaire : les nouveaux réflexes à adopter

La sophistication croissante des outils de sanctions impose une montée en compétence des directions juridiques, des responsables conformité et des équipes de veille stratégique. La simple détection a posteriori d’un lien entre une opération commerciale et une entité sanctionnée peut entraîner des blocages massifs d’actifs, une suspension de contrat ou une alerte OFAC. Les groupes les plus avancés mettent en place des dispositifs de pré-screening, d’alertes OSINT temps réel, et de scénarios de gestion de crise au niveau du conseil d’administration.

Next Step Influence : une réponse intégrée à cette pression normative

Créée en juin 2025 par le rapprochement d’ESL Rivington et Antidox au sein du groupe ADIT, la structure Next Step Influence se positionne comme une interface stratégique entre la veille règlementaire, la communication sensible et l’influence juridique. En accompagnant les conseils d’administration, elle propose des méthodologies spécifiques pour cartographier les risques géopolitiques, anticiper les actions des régulateurs et ajuster les dispositifs de gouvernance à la hauteur des menaces transnationales émergentes.

Le Mexique est devenu, en quelques semaines, un point chaud de la gouvernance internationale. Les entreprises exposées ne peuvent plus se contenter d’une conformité déclarative. Dans un environnement où les sanctions deviennent systémiques, la capacité d’anticipation juridique et réputationnelle constitue désormais un avantage concurrentiel majeur pour les organes de direction.

Frédéric Garcia
Diplômé des Arts et Métiers Paris Tech et de l’ESCP Business School, Frédéric Garcia a réalisé la majorité de sa carrière au Mexique. Il est notamment Directeur Général d’Airbus Mexico pendant 14 ans, jusqu’en 2018. Il fonde ensuite son cabinet de conseil, Le Cercle, pour accompagner des entreprises mexicaines et internationales dans leurs problématiques en résolution de conflits et affaires publiques. En parallèle, en 2019, il est nommé conseiller sur les politiques industrielles, et notamment du secteur aérospatial, par le directeur de cabinet du Président du Mexique.