
Après l’attaque israélienne au Qatar, le président Trump est-il en train de perdre le Golfe ?
Tout le monde se souvient de la tournée triomphale du président Trump dans le Golfe en mai dernier : il y avait été reçu royalement par les dirigeants de la région et avait annoncé des centaines de milliards de contrats à venir pour les entreprises américaines. Toutefois, lors du sommet du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe qui s’était tenu à Riyad à cette occasion, il avait entendu les doléances de ses interlocuteurs : pas de confrontation dans la région (qui ferait fuir les investisseurs internationaux) et un geste significatif en faveur des Palestiniens avant toute reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite.
Quatre mois après, l’image est totalement différente : l’affaiblissement de la présence iranienne au Moyen Orient est naturellement bien accueilli, mais le carnage en cours à Gaza – avec la complaisance des Etats-Unis – crispe les opinions publiques arabes et gêne leurs gouvernements. Le « deal » envisagé – reconnaissance par Riyad d’Israël en échange d’un engagement contraignant d’un processus menant à la création d’un Etat palestinien – n’avance pas du tout du fait de l’absence claire de pression de Trump sur Netanyahou, qui poursuit sa politique de fuite en avant dans la région. L’incapacité du président américain de délivrer sa part du contrat est donc perçue dans le Golfe au mieux comme une faiblesse du chef de la première puissance mondiale (qui se fait manipuler par le dirigeant d’un petit pays pourtant aidé financièrement et militairement par Washington), et au pire comme une complicité à l’égard du boucher des Palestiniens.
En réalité, le doute sur la fiabilité des engagements du président Trump date de son inaction en 2019 lors des frappes iraniennes sur les installations de l’ARAMCO en Arabie Saoudite. Mais les pays du Golfe, qui n’avaient pas – à l’exception du Qatar – des relations très confiantes avec l’administration Biden, ont accueilli avec faveur la réélection de Trump et espéraient recréer avec les Etats-Unis une relation stratégique traditionnelle.
Ce qui vient de se passer, avec l’attaque israélienne au Qatar contre les logements des dirigeants du Hamas, est la goutte d’eau qui risque de faire déborder le vase. En effet, soit les Américains ont fermé les yeux sur cette opération – et la crédibilité de la protection américaine est mise en cause -, soit ils ont donné un feu vert implicite et c’est une trahison à l’égard d’un membre du CCEAG. La réaction dans ces pays, dans le monde arabe (et même partout dans le monde), témoigne de la condamnation unanime de cette attaque chez un allié du monde occidental et un médiateur en action pour tenter de libérer les otages israéliens détenus par le Hamas. Le président Trump s’est d’ailleurs rendu compte de l’ampleur de cette faute politique en appelant immédiatement l’émir du Qatar pour tenter de s’expliquer. Mais le mal est fait, comme le montrent les réactions indignées de Doha et des autres capitales du Golfe, y compris d’Abou Dhabi pourtant parrain des « accords d’Abraham », supposé grand succès diplomatique du président Trump.
En réalité, il faudra du temps et des gestes américains pour prouver aux pays du Golfe que Trump n’est pas manipulé par Netanyahou et qu’il a encore la capacité ou l’intention de faciliter une sortie de crise équitable et durable de la guerre à Gaza. Certes, les membres du CCEAG sont pragmatiques et réalistes : ils savent qu’ils ont toujours besoin d’une protection américaine et que seuls les Etats-Unis ont les moyens de faire pression sur Israël pour obtenir des concessions en faveur des Palestiniens. Les relations avec Washington sont en outre profondes sur les plans humain, culturel, économique, politique et sécuritaire. Mais dans cette partie du monde, la confiance et le respect de la parole donnée sont des valeurs sacrées, et l’attaque au Qatar tolérée par Trump est un sérieux coup de canif dans le pacte avec Washington. Il est clair que la Chine saura en profiter en avançant ses pions dans la région…
Toutefois la France – et peut-être l’Europe – ont également une opportunité à saisir dans le Golfe. Notre pays a eu en effet la bonne idée de lancer conjointement avec l’Arabie Saoudite l’initiative de convoquer à New York à la fin de ce mois une conférence internationale sur la solution à deux Etats. Même si elle a été critiquée fortement par Netanyahou et Trump, l’annonce de la reconnaissance à cette occasion par la France d’un Etat palestinien a créé une dynamique en Europe et au-delà. Par ailleurs, les Saoudiens sont les seuls qui permettraient à Trump d’obtenir un succès diplomatique – la reconnaissance d’Israël par le « Gardien des Lieux Saints » de l’Islam – si naturellement il faisait les pressions indispensables sur Israël. Or le président américain rêve d’obtenir le prix Nobel de la Paix, mais aussi de réaliser les contrats juteux pour les entreprises américaines (et son groupe…) envisagés dans le Golfe. On ne peut donc pas exclure que, pour rattraper son erreur dans l’affaire de l’attaque israélienne au Qatar, il soit amené à faire un geste lors de la prochaine Assemblée Générale des Nations Unies. C’est en tout cas une opportunité que la France doit saisir. Certes, notre image internationale est dégradée du fait de notre instabilité politique et de notre endettement, mais nous sommes à l’origine de cette initiative franco-saoudienne – avec le bon partenaire – et nous demeurons le pays européen le plus actif politiquement au Moyen Orient. Sachons donc profiter de l’occasion que nous offre la nouvelle donne créée par l’attaque israélienne au Qatar !