Présidentielle du 25 octobre 2025 : la Côte d’Ivoire entre maturité politique et risque de crise
Le 25 octobre prochain, 8,7 millions d’Ivoiriens sont appelés aux urnes pour élire leur prochain président de la République. Cinq candidats sont en lice dont le président sortant Alassane Dramane Ouattara, surnommé ADO par les Ivoiriens, et dont les affiches de campagne sur fond orange ornent toutes les grandes artères d’Abidjan. La campagne a été lancée pour quatorze jours le 10 octobre dernier permettant aux candidats de sillonner le pays dans un calme relatif.
Traumatisme de la crise postélectorale de 2010-2012
Mais le traumatisme de la crise post-électorale de 2010-2011 qui avait fait plus de 3 000 morts, est dans tous les esprits alors que des événements violents, parfois sans rapport avec la campagne, sont recensés par les médias et les réseaux sociaux. Un homme a ainsi été tué par balle par des « individus non identifiés » le 13 octobre à Bonoua (sud), selon la police, premier mort dans des circonstances on ne peut plus obscures de ces troubles pré-électoraux. Le 20 octobre, treize autobus de la Société des transports abidjanais (SOTRA) ont été détruits dans un incendie aux environs de 4h30 du matin dans la gare de Koumassi, un site de réparation de bus à Abidjan. L’enquête n’a pas encore révélé les auteurs de cet acte. Enfin, le 20 octobre, dans ce qui ressemble à un acte de banditisme de grand chemin, un officier de gendarmerie a trouvé la mort. « Des individus encagoulés et armés de fusils de calibre 12 ont érigé des barricades » sur l’axe routier Agboville-Grand Yapo-Azaguié, précise le gouvernement ivoirien dans un communiqué dans lequel on peut lire aussi que plusieurs cars de transport se sont retrouvés « bloqués et victimes de vols » sur la voie paralysée. Même s’ils n’ont rien à voir avec les élections, ces faits divers renforcent un climat de méfiance et d’anxiété.
Opposants exclus
L’exclusion de ténors de l’opposition de la course à la présidentielle favorise cette tension latente. Le Conseil constitutionnel ivoirien a en effet validé, le 8 septembre 2025, cinq candidats pour cette présidentielle : Alassane Ouattara, grand favori ; Simone Ehivet, ancienne épouse Gbagbo ; l’ancien ministre et homme d’affaires Jean Louis Billon ; l’ancienne ministre Henriette Lagou ; et Ahoua Don Mello, compagnon de route de longue date de Laurent Gbagbo aujourd’hui en rupture de ban.
Le Conseil constitutionnel a aussi confirmé l’exclusion du scrutin de Tidjane Thiam, patron du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, ancien parti unique) et de l’ancien président Laurent Gbagbo du PPA-CI (Parti des peuples africain – Côte d’Ivoire). Le premier est radié des listes électorales parce qu’il n’a pas respecté les délais pour abandonner sa nationalité française. Le second a été condamné par la justice ivoirienne et a perdu ses droits civiques et a de ce fait été radié des listes électorales. Plus étonnant, l’ancien Premier ministre et chef du Front patriotique ivoirien (FPI, ancien parti de Laurent Gbagbo), Pascal Affi N’Guessan est également recalé faute de parrainages validés. Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, deux autres figures de l’opposition, n’avaient pas déposé de dossier de candidature devant la Commission électorale indépendante (CEI). Enfin, un certain nombre de petits candidats n’ont pas été retenus faute de parrainages suffisants ou de paiement de la caution.
Réunis au sein d’une alliance de circonstance, Thiam, Gbagbo et Affi N’Guessan ont mis en place le Front Commun, pour demander leur participation au scrutin. La semaine dernière, le Front Commun a lancé un appel à manifester et à bloquer le pays après la répression de la manifestation du 11 octobre. Mais cet appel n’a pas fait long feu, démontrant d’une part que le gouvernement tient le pays, et d’autre part que les Ivoiriens ne suivent que très peu les appels à la mobilisation de dirigeants radicaux dont l’un, Tidjane Thiam, est en France depuis mars 2025…
Manifestation interdite et réprimée
Le 11 octobre, le dispositif policier a empêché tout rassemblement des militants du Front Commun. Déjà la manifestation prévue le 4 Octobre avait été reportée après la promulgation d’une interdiction de tout rassemblement visant à s’opposer aux décisions du Conseil constitutionnel concernant le scrutin présidentiel du 25 octobre prochain. En clair, il est désormais interdit de manifester, voire de s’exprimer, contre le quatrième mandat possible d’Alassane Ouattara, et contre l’exclusion de Thiam et Gbagbo.
La fermeté des autorités et des forces de l’ordre, lesquelles ont procédé à plusieurs centaines d’arrestations (710 selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur) entre le 11 et le 13 octobre, illustre la volonté du gouvernement de faire en sorte que l’ordre soit maintenu pendant cette période de campagne électorale. Rapidement jugés, certains militants ont été condamnés à trois ans de prison ferme cette semaine.
En fait, cette fermeté exprime clairement le fait que les oppositions radicales qui ne jouent pas le jeu de l’élection n’ont plus voix au chapitre. D’autres candidats d’opposition proche idéologiquement du Front Commun, ont en effet été autorisés à participer à l’élection. Eux seuls peuvent donc participer à la campagne électorale, acceptant de fait la possibilité d’un quatrième mandat d’Alassane Ouattara, et jouant l’apaisement et le jeu démocratique.
Erreurs stratégiques du Front Commun
Mais, sans pour l’instant appeler au boycott de l’élection, les dirigeants du Front Commun refusent de soutenir l’un de ces candidats de l’opposition en lice. Une ligne de fracture dessine donc entre partis et dirigeants de l’opposition acceptant de jouer le jeu de l’élection, et les autres qui apparaissent de plus en plus comme jusqu’au-boutistes au risque de ne plus exister électoralement.
Déjà que peu de gens semblent s’être mobilisés pour la marche du 11 octobre, les leaders du Front Commun ont commis une erreur stratégique en appelant le 12 octobre leurs militants à manifester « tous les jours » et à bloquer le pays… Ils courent en effet le risque de montrer dans la rue la faiblesse de leur force et l’essoufflement de leur capacité de mobilisation quelques jours avant le scrutin. « Les manifestations pour la démocratie, la justice et la paix se poursuivront tous les jours et sur toute l’étendue du territoire, jusqu’à la satisfaction des revendications par la tenue d’un dialogue politique », a annoncé le Front Commun dans un communiqué sans que cela soit suivi d’effet. Quelques écoles ont été fermées momentanément, et quelques barrages éphémères dressés en province, mais aucune action d’ampleur n’a été constatée à Abidjan, principal bassin d’électeurs. C’est donc un cuisant échec pour le Front Commun.
Le président sortant, qui a lancé sa campagne à Daloa, ancien fief de l’opposition dans l’ouest du pays aujourd’hui acquis à son parti le RHDP, pourrait être le grand gagnant de cette division de l’opposition, fort de son bilan (infrastructures, emplois, lutte contre la pauvreté), mais aussi d’un maillage militant qui couvre tout le pays et d’un financement de campagne important.
Attaques en ligne mais poursuite de la campagne
Comme l’avaient anticipé les autorités, de nombreuses attaques en ligne ou manipulations sur les réseaux sociaux ont été déployées ces derniers jours tendant à montrer une Côte d’Ivoire à feu et à sang. C’est la première fois qu’une campagne électorale en dans le pays est ainsi l’objet d’attaques en ligne d’une telle ampleur. Certains y voient la main des juntes sahéliennes, voire des Russes, d’autres des réactions de partisans extrêmes du Front Commun. Mais il semble que ces manipulations ne prennent pas non plus, alors que ces fake news sont démontées dans les médias publics et internationaux quotidiennement. A l’inverse, la présentation des faits par de nombreux médias occidentaux montre que la situation n’est pas très bien comprise. En effet, beaucoup parlent de l’opposition en général sans faire le distinguo entre opposition autorisée à participer au scrutin et opposition exclue.
Il convient donc de relativiser la situation à l’aune de la réalité politique : le président sortant est candidat à sa propre réélection, et quatre opposants lui font face, tous issus de l’opposition, dont trois sont des anciens proches de Laurent Gbagbo (Simone Ehivet, Ahoua Don Mello et Henriette Lagou), alors que Jean Louis Billon se pose toujours en candidat de son parti le PDCI, même si officiellement ce dernier ne le soutient pas.
Ce qui est en fait en question, c’est le respect des règles du jeu démocratique et de l’Etat de droit. En effet, les candidats exclus le sont pour de bonnes raisons. Le meilleur exemple en est Tidjane Thiam qui n’a pas effectué les démarches nécessaires concernant sa nationalité française alors même que les règles étaient bien connues. Son exil en France depuis mars 2025 nuit également à sa crédibilité et les militants ne semblent pas prêts à prendre des coups ou à être emprisonnés pour un chef qui n’est pas sur le territoire.
Une jeunesse à conquérir
Les candidats tentent tous de séduire les jeunes Ivoiriens qui sont largement majoritaires sur la liste électorale : les 18 à 35 ans représentent environ 75% des inscrits. « Il est intéressant de noter que la majorité de l’électorat ivoirien aujourd’hui n’a pas vécu en conscience politique sous Gbagbo, ils ne le connaissent quasiment pas, seulement comme une figure de l’ancien temps et de la crise postélectorale. La plupart n’ont connu que Ouattara comme chef de l’Etat, ce qui peut supposer une relative lassitude, voire une volonté de changement. Le problème étant qu’aucun ‘jeune’ n’incarne ce changement », souligne un politologue et sociologue basé en Côte d’Ivoire.
« Oser le changement », slogan de Jean Louis Billon, qui à 60 ans est le plus jeune candidat en course, s’adresse à la jeunesse. Le 18 octobre lors d’un meeting à Abidjan, Alassane Ouattara a aussi mis la jeunesse au cœur de sa campagne. Devant des milliers de jeunes venus de toutes les régions du pays, il a exhorté la jeunesse à voter massivement. « C’est pour vous que j’ai accepté d’être candidat (…). Voter pour ADO, c’est voter pour la sécurité et la prospérité », a-t-il déclaré avant de rappeler son bilan notable dans ce domaine. Simone Ehivet quant à elle a reçu le soutien de l’ancien « général et ministre de la jeunesse » de Laurent Gbagbo dans les années 2000, Charles Blé Goudé, encore populaire dans les milieux de jeunes néo-panafricanistes.
Un électorat traditionnellement divisé
Depuis l’instauration du multipartisme en 1990, dans un contexte de crise économique et sous la pression diplomatique internationale, l’électorat ivoirien se répartit généralement en trois blocs à peu près équivalents chacun à 30% de l’électorat : le bloc baoulé au centre du pays dominé par le PDCI-RDA, le Nord « dioula » et musulman dominé par le RDR (Rassemblement des Républicains, parti libéral, créé en juin 1994 et dont ADO prendra la tête en 1999. Composante majeure du RHDP), et l’ouest au sens large longtemps dominé par le FPI qui le dispute aujourd’hui au PPA-CI de Gbagbo.
Depuis, la répartition électorale a peu changé en dépit des efforts menés par le président Ouattara, qui souhaitait, en créant le RHDP et en s’alliant avec le PDCI, transcender les clivages régionaux et ethniques. « On peut considérer que c’est l’un des grands échecs d’Alassane Ouattara de n’avoir pas su défendre cette idée politique qui aurait pu faire entrer la Côte d’Ivoire dans une ère véritablement démocratique », estime le politologue ivoirien. Cependant, depuis 2011, le RHDP n’a cessé d’élargir sa base électorale et a remporté haut la main tous les scrutins dans tout le pays.
Troisième tour ?
C’est une des raisons qui fait croire à ses soutiens qu’ADO peut faire « un coup KO », c’est-à-dire gagner l’élection dès le premier tour. On peut considérer toutefois qu’après la présidentielle, il y aura un second ou un troisième tour puisque le calendrier politique a été resserré – les élections législatives prévues en 2026 ayant été avancées au 27 décembre 2025. Les Ivoiriens voudront peut-être, dans les urnes et non dans la rue, montrer leur réticences à un quatrième mandat d’Alassane Ouattara en donnant des sièges à l’opposition.
Des contestations sont à prévoir au moment de la proclamation des résultats, mais l’enjeu est surtout pour le président sortant de pousser les électeurs à la participation au vote. Une très forte abstention serait vue comme un désaveu.
Le risque lié au terrorisme et aux tensions avec le Burkina Faso voisin reste important. Guillaume Soro, en exil, s’est rapproché de l’AES et pourrait vouloir jouer un rôle dans cette échéance électorale ou tenter une déstabilisation. Très peu crédible et populaire aujourd’hui en Côte d’Ivoire, les rumeurs lui prêtent malgré tout un reste de capacité de nuisance. Mais les précédentes échéances électorales ont montré que l’appareil sécuritaire ivoirien est efficace et aguerri, ce qui laisse penser que l’ordre sera en grande partie maintenu, notamment à Abidjan, principal lieu où des débordements seraient à craindre.
La Côte d’Ivoire n’a jamais, depuis l’indépendance, connu une alternance démocratique, et toutes les élections ont été émaillées de violences. Les Ivoiriens espèrent que cette fois au moins, il n’y aura pas de violences.


