L’Assemblée a voté mardi soir un amendement qui multiplie par deux le taux de la «taxe sur les services numériques», instaurée en 2019. Une volte-face digne des revirements les plus brutaux auxquels Donald Trump nous a habitués, déplore Bruno Alomar, ancien haut commissaire à la Commission européenne.
Jusqu’à il y a peu, rien de plus opposé à la vision économique de D. Trump que celle des partis du centre au soutien d’Emmanuel Macron. Quand le trumpisme rejette la mondialisation à coups de droits de douane, le macronisme milite pour la coopération internationale. À la brutalité de la politique économique de Donald Trump s’opposait la rationalité économique des tenants du « cercle de la raison ».
Or voici qu’avec l’effondrement politique amorcé par la dissolution du 9 juin 2024 et continué jusqu’à aujourd’hui, les barrières tombent. La présentation du projet de loi de finances est ainsi l’occasion pour nos parlementaires de dévaler le toboggan de la démagogie. Les députés ont voté mardi soir un amendement alourdissant la «taxe sur les services numériques». Le texte, déposé par l’élu Renaissance Jean-René Cazeneuve, multiplie le taux de la taxation par deux, pour le porter de 3 à 6%. Or, cet amendement n’est pas issu de partis qui, regardant à tort la France comme une île, se soucient peu de notre attractivité. Il a été porté par des députés macronistes, à rebours de leurs convictions depuis 2017.
Est-ce étonnant ? Rappelons-nous, exemple parmi d’autres, comment Élisabeth Borne, après avoir tout fait pour réduire la part du nucléaire dans le bouquet énergétique avait ensuite déclaré aux parlementaires qu’effectivement le « raisonnement avait changé ». Fallait-il s’étonner qu’après avoir porté la réforme des retraites elle ait été la première à vouloir la suspendre ? Interrogeons-nous pourtant sur l’étendue et les conséquences de ce qu’il faut bien considérer comme un ralliement du macronisme au trumpisme.
Sur la forme d’abord. Elle n’a rien d’anodin. Face à la brutalité de Donald Trump, l’une des marques de fabrique, au moins en esprit, du macronisme a été de faire toute sa place à l’analyse, pesée et rigoureuse. Ici, la volte-face est digne des revirements les plus brutaux auxquels Donald Trump nous a habitués. Qui ne comprend, alors même que l’économie française est à l’arrêt, que les agents économiques retiennent leurs décisions, que notre dégradation budgétaire s’accentue inexorablement sous le regard des agences de ratings et de nos créanciers, que ce dont notre économie a besoin c’est avant tout de stabilité, de prévisibilité, en un mot de ce qu’Alain Peyrefitte appelait la confiance ? Sur le fond, une telle mesure – qui en annonce hélas d’autres du même ordre – marque une triple erreur.
Une erreur économique d’abord. En augmentant brutalement ce type d’imposition dans un marché ouvert – car la concurrence fiscale est, qu’on le regrette ou non, un fait de l’Union européenne – on prend le risque de porter un nouveau coup à l’attractivité de la France. Il y a pire. Car c’est méconnaître le fonctionnement de l’économie que de penser qu’une telle imposition ne serait pas répercutée au consommateur final par les plateformes numériques. Les entreprises françaises verraient ainsi leurs coûts augmenter et leur compétitivité s’éroder.
Une erreur politique ensuite. Ce n’est pas le moins grave. Car quand un ancien premier ministre en fait un outil de « bataille douanière », il rentre précisément dans le jeu de Donald Trump : celui de la confrontation économique permanente, dans laquelle tout cherche à se résoudre par l’instrument magique des droits de douanes.
Une erreur de politique fiscale enfin. En jouant la carte de la justice fiscale appliquée au secteur numérique, on ne règle rien des faiblesses de nos filières technologiques qui restent désespérément sous le seuil de chiffre d’affaires de l’amendement. Taxer la concurrence dans ces conditions ne crée pas les conditions pour faire émerger des plateformes numériques de premier plan. C’est continuer de croire qu’il suffit d’être durs avec les autres pour soi-même réussir.
Comprenons-nous bien. La fiscalité n’est pas intangible. Elle doit évidemment évoluer pour s’adapter aux difficultés majeures que rencontre notre pays. En revanche, l’utiliser de manière opportuniste en tournant le dos au peu de rationalité qui demeure n’est pas rendre service à l’économie française.
Publié le 29 octobre 2025 dans Le Figaro


