Plan global de l’Arabie Saoudite pour le Moyen-Orient, sur fond d’inquiétude au Liban

14.11.2025 - Éditorial

L’élection du président Joseph Aoun et la formation de son excellent gouvernement – couplées à la chute du régime de Bachar el Assad en Syrie et l’affaiblissement du Hezbollah – avaient suscité beaucoup d’espérance au Liban sur la renaissance du pays du Cèdre et l’engagement enfin de réformes structurelles permettant sa reconstruction avec l’aide internationale. Cette dynamique devait en outre conduire à un renouvellement politique lors des prochaines élections législatives.

Inquiétude au Liban

Plusieurs mois après, cet élan paraît brisé et l’inquiétude est de retour en raison de plusieurs facteurs :

  • le cessez-le-feu avec Israël n’est pas réellement respecté, avec la poursuite de l’occupation de portions du territoire libanais et de frappes aériennes récurrentes ;
  • le Hezbollah admet en principe le monopole de la force par les autorités libanaises mais ne paraît guère disposé à désarmer, en arguant du non-respect par Israël de l’accord ;
  • le gouvernement israélien menace lui de « finir le travail » au Liban si le gouvernement libanais ne parvient pas à désarmer le Hezbollah ;
  • les Américains, les pays du Golfe et même les Européens exigent ce désarmement du Hezbollah en préalable à la fourniture de l’aide nécessaire à la reconstruction du pays. La France soutient néanmoins la politique du président Aoun d’une démarche progressive.

Cette situation incertaine fait craindre à la population libanaise une reprise des opérations israéliennes avec le feu vert américain. La seule lueur d’espoir est que la prochaine visite du prince héritier saoudien à Washington le 18 novembre – où seront discutés des contrats bilatéraux mais aussi la situation régionale – permette de calmer les ardeurs guerrières de Netanyahou. En effet, le président Trump ménage les pays du Golfe – et en particulier Mohamed ben Salman – car il souhaite une reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite pour obtenir le prix Nobel de la Paix, ainsi que la concrétisation des projets d’accords annoncés lors de sa visite à Riyad, Doha et Abou Dhabi en mai dernier.

Toutefois, Riyad n’envisage de contribuer à la reconstruction de Gaza et du Liban que dans le contexte du désarmement du Hamas et du Hezbollah. En effet, la reprise du dialogue entre Riyad et Téhéran ne signifie pas que la méfiance des pays du Golfe envers les « proxies » de l’Iran au Moyen Orient ne subsiste pas et que le reflux de l’influence iranienne dans la région ne soit pas apprécié dans les capitales du Golfe. Le Président américain peut donc en tirer la conclusion que si les autorités libanaises ne parviennent pas à obtenir le désarmement rapide du Hezbollah, les Israéliens auraient eu la capacité de le faire.

La pression est donc actuellement forte sur le gouvernement libanais et il n’est pas certain que Netanyahou attende longtemps avant d’agir. D’où l’inquiétude qui s’est emparée de la population libanaise qu’une reprise des opérations militaires israéliennes sur leur territoire soit tout-à-fait possible à bref délai.

L’Arabie Saoudite élabore un plan global pour le Moyen Orient

Un certain nombre d’observateurs soulignent le retrait relatif de l’Arabie Saoudite dans la gestion des problèmes du Moyen Orient : en particulier l’absence du prince héritier lors de la conférence à New York sur la solution à deux Etats et à l’occasion d’autres réunions régionales, donnant le sentiment de prendre du recul par rapport à d’autres acteurs comme l’Egypte et le Qatar. Certains évoquent des soucis concernant la santé du roi Salman, mais aussi un manque d’engagement dans le plan arabe pour Gaza.

En réalité, le royaume se voit comme le « rassembleur de la famille arabe » et recherche par ailleurs le moyen de stabiliser le Moyen Orient afin de permettre son développement économique – notamment la Vision 2030 saoudienne –, que les conflits incessants hypothèquent.

Le recul de l’influence iranienne – du fait des opérations militaires israéliennes – et la chute du régime syrien de Bachar el Assad sont à ce titre perçus à Riyad comme des opportunités réelles pour tenter de définir un nouvel équilibre régional plus stable et attrayant pour les investisseurs internationaux.

Toutefois, la politique intransigeante de Netanyahou fait craindre de nouvelles confrontations et l’affirmation d’une forme d’impérialisme israélien redouté par les pays de la région. Et MBS est conscient qu’aujourd’hui seul le président Trump est en mesure de calmer les ardeurs guerrières de Netanyahou et de lui imposer des concessions qu’il refuse actuellement.

C’est la raison pour laquelle le prince héritier saoudien élabore une approche globale de la région dans la perspective de sa visite à Washington le 18 novembre prochain. L’idée de base est d’éviter une nouvelle escalade entre Israël, les Arabes, les Iraniens et les Turcs, que les ambitions de M. Netanyahou risquent de susciter. Par ailleurs, il convient de conforter l’aspiration du président Trump à apparaître comme un « faiseur de paix » en l’encourageant à soutenir des solutions politiques au lieu de l’emploi de la force. MBS devrait donc proposer au chef de la Maison Blanche une nouvelle alliance stratégique comportant des accords bilatéraux en matière de défense et de sécurité, mais aussi un plan régional de stabilisation du Moyen Orient sur les bases suivantes :

  • Palestine : soutien à la mise en œuvre du plan de paix Trump pour Gaza avec l’objectif d’aller au-delà d’un cessez-le-feu et de s’engager dans une solution finale comportant un processus sérieux menant à la création d’un Etat palestinien, permettant la reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite (ce qui implique des pressions américaines sur Netanyahou) ;
  • Iran : éviter une nouvelle confrontation et reprendre des négociations américano-iraniennes, que MBS pourrait faciliter : en convainquant Téhéran de favoriser des solutions de compromis au Yémen (Houtis), au Liban (Hezbollah) et en Irak (milices chiites) et d’accepter de limiter la portée de ses missiles balistiques et un contrôle strict de l’AIEA sur l’enrichissement de son uranium – en échange d’une levée de sanctions américaines et d’assurances sur la pérennité d’un tel accord. Naturellement, les négociations seraient difficiles, mais elles sont souhaitées par l’Iran et ses voisins arabes, et elles permettraient aux Etats-Unis un désengagement militaire partiel du Moyen Orient. Elles justifieraient en outre un prix Nobel pour Trump.
  • Liban : éviter une reprise des hostilités israéliennes contre le Hezbollah en demandant – par l’intermédiaire de MBS – à l’Iran d’inciter le « Parti de Dieu » à faire preuve de plus de souplesse dans l’instauration du monopole des armes pour l’armée libanaise. L’idée est de conforter le président Aoun dans son approche progressive, à condition de pouvoir montrer des résultats.
  • Syrie : appuyer le président Chareh et la reconstruction du pays, en concertation étroite avec les Turcs et les pays du Golfe.

Ce plan global est naturellement très ambitieux et devra – s’il est accepté par le président Trump – surmonter de nombreuses difficultés de mise en œuvre. Néanmoins, il reflète la volonté de Riyad de calmer le jeu au Moyen Orient et de tenter – avec l’aide américaine – d’éviter une escalade envisagée par Netanyahou et de poser les bases d’un règlement durable au Moyen Orient, permettant le développement de la région. Ce plan tient compte des vues du président Trump qui veut apparaitre en « faiseur de paix » et qui souhaite associer étroitement les entreprises américaines aux grands projets économiques dans le Golfe. Il sera donc intéressant de voir, à l’issue de la visite du prince héritier saoudien à Washington, dans quelle mesure le président Trump est sensible à ces arguments et est prêt à user de son influence pour faire avancer ces idées, qui sont convergentes avec celles de notre diplomatie.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.