Quel rôle pour la France dans les bouleversements actuels au Moyen-Orient

14.02.2025 - Regard d'expert

1 / La France a une longue histoire de présence au Moyen-Orient, à la fois comme alliée de la Sublime Porte face au Saint Empire Romain Germanique et comme protectrice des Chrétiens d’Orient.

Au XXe siècle, elle a eu un mandat sur le Liban et la Syrie ; mais la guerre d’Algérie et l’opération de Suez ont terni un moment son image dans la région.

Toutefois, à partir de 1967, le Général de Gaulle a initié une « politique arabe » de la France qui nous a donné un crédit important auprès des gouvernements et des opinions publiques arabes. Poursuivie sous les présidents Mitterrand et Chirac, elle a connu une inflexion, perçue comme un rapprochement avec les Etats-Unis, à partir du président Sarkozy jusqu’à aujourd’hui. En outre, les débats en France sur le voile et la burqa ont fini par nous faire apparaître comme un pays « ayant un problème avec l’Islam ».

Néanmoins, dès l’indépendance des pays du Golfe au début des années 1970, la France a su créer — en particulier avec les Emirats arabes unis et le Qatar — une relation forte avec ces Etats traditionnellement tournés vers le monde anglo-saxon.

2/ Aujourd’hui, après l’invasion américaine de l’Irak en 2003 puis les « printemps arabes »  en 2011, il est clair que le centre de gravité du monde arabe s’est déplacé vers l’Est, dans le Golfe, qui est devenu un îlot de stabilité et de développement dans une région troublée.

Les derniers développements — conflit entre Israël et le Hamas et le Hezbollah et la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie -— ont bouleversé la donne régionale en affaiblissant l’« Axe de la résistance » dirigé par l’Iran. De ce fait, le Liban et la Syrie ont désormais une opportunité de se reconstruire avec l’aide internationale.

La réélection de Donald Trump à la Maison Blanche rebat également les cartes, avec cependant des initiatives parfois surprenantes, en particulier la proposition de transformer Gaza en « Riviera du Moyen-Orient »… Il est en tout cas clair que les Etats-Unis souhaitent se désengager partiellement de la zone — comme d’ailleurs de l’Europe — pour se concentrer sur la compétition avec la Chine. Cela implique pour Washington une négociation en position de force avec l’Iran, visant à arrêter son programme nucléaire, à encadrer son programme balistique et à mettre un terme aux activités déstabilisatrices des milices chiites au Moyen-Orient. Cela implique également la création d’une sorte d’alliance entre Israël et les pays du Golfe pour contenir l’influence de l’Iran, ce qui nécessite une normalisation avec l’Arabie Saoudite qui est, pour cette raison, une priorité du président Trump.

Naturellement les Saoudiens, qui sont aujourd’hui la puissance arabe dominante dans la région, entendent monnayer ce mouvement éventuel de leur part en échange de garanties de sécurité américaines, d’une coopération dans le nucléaire et d’un geste significatif en faveur des Palestiniens. Et face à l’intransigeance du gouvernement Netanyahou, le prince héritier saoudien a fait monter les enchères en exigeant la création d’un Etat palestinien, conformément à « l’initiative de paix arabe » de 2002 (d’origine saoudienne). Il faut donc s’attendre à une négociation serrée entre Trump et Mohammed ben Salman sur la question palestinienne, mais aussi sur le pétrole dont le président américain veut faire baisser le prix contrairement aux voeux saoudiens.

3/ Face à cette nouvelle donne, que peut faire la France pour défendre ses intérêts dans cette région stratégique ?

Elle a des atouts : membre permanent du Conseil de Sécurité, présence militaire dans la région, activisme diplomatique comme on l’a vu sur le dossier libanais, pôles d’excellence reconnus (culture, tourisme, produits de luxe, technologies de pointe dans l’énergie, les transports etc).

Sur le plan politique, la France a pris l’initiative — de concert avec l’Arabie Saoudite — de convoquer en juin prochain à New York une conférence internationale sur la problématique d’une solution à deux Etats dans le conflit israélo-palestinien. Il est clair en effet que, si l’on ne parvient pas à régler de façon équitable la question palestinienne, le monde prend le risque de connaître de nouveaux “7 octobre”. La France a donc raison de se positionner ainsi sur ce sujet majeur, en coopération avec l’Arabie Saoudite, qui est aujourd’hui incontournable dans la région. Notre pays doit par ailleurs — là aussi de concert avec les pays du Golfe — contribuer à la reconstruction du Liban et de la Syrie, tout en se préoccupant naturellement de la question des terroristes de Daech emprisonnés en Syrie par les Kurdes.

La France entend enfin participer activement à tout règlement régional avec l’Iran, car cela conditionne en réalité notre sécurité et nos intérêts économiques. Il est clair que dans la négociation à venir entre Washington et Téhéran, nous aurons donc intérêt à nous coordonner avec les pays du Golfe qui, contrairement à 2015 (l’accord JCPOA), joueront un rôle important, d’autant plus que nous avons avec eux des intérêts convergents : éviter l’acquisition par l’Iran de l’arme nucléaire, encadrer son programme balistique et mettre un terme aux menées déstabilisatrices des milices chiites à sa solde.

Il faut simplement espérer que les velléités d’opérations militaires israéliennes sur les installations nucléaires iraniennes — en y entraînant les Etats-Unis — ne viendront pas empêcher un arrangement régional rendu désormais possible par l’affaiblissement de l’Iran.

En bref, il existe aujourd’hui une fenêtre d’opportunité pour stabiliser le Moyen-Orient, dans laquelle la France peut jouer un rôle significatif conforme à ses intérêts nationaux, sécuritaires et économiques. Il est donc important qu’elle le fasse de concert avec les pays du Golfe, qui ont des cartes importantes en main et avec lesquels nous avons des objectifs convergents au Moyen-Orient.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.