Tout le monde s’attendait à un « rock and roll » avec la nouvelle administration américaine, mais pas à ce point !
Dès son entrée en fonction, le président Trump a en effet multiplié les décisions dans tous les domaines, sans la moindre retenue ni considération pour les règles de droit. Il s’est également entouré de personnages clivants, aux positions extrêmes, qui ont eux-mêmes été généreux en déclarations intempestives. La question que chacun se pose est donc de savoir si ces prises de position surprenantes (concernant le Canada, Groenland, Panama, Gaza, Ukraine etc…) ont un caractère tactique – mettre la barre très haut pour obtenir le meilleur deal possible – ou s’il s’agit d’objectifs sérieux.
Ce qui est clair, c’est que le président Trump ne masque pas qu’il veut être imprévisible pour désarçonner l’adversaire. Mais il a des convictions fortes : l’intérêt américain est son seul critère de choix, sans aucun respect pour les alliances et engagements antérieurs des Etats-Unis. Son approche est également parfaitement mercantile : obtenir le meilleur deal possible, sans autre considération. Il n’a aucun souci d’éthique et seul compte le rapport de forces. Enfin, il entend combattre les idées progressistes et wokistes, ainsi que la bureaucratie, en limitant le rôle de l’Etat et le nombre de fonctionnaires.
Dans ce contexte, que peut-on retenir de positif et de négatif dans cette politique pour nos propres intérêts ?
On ne peut d’abord que relever la volonté du président Trump d’agir plutôt que de discourir, contrairement aux pratiques européennes de déclarations souvent peu suivies d’effets. En outre, son langage « brut de décoffrage » a le mérite de faire bouger les choses et d’obliger les gens d’en face à réagir. Par ailleurs, le discours de son vice-président sur les limites de la liberté d’expression en Europe n’est pas totalement contestable quand on constate l’extension aujourd’hui d’une « pensée unique », qui a l’exclusion facile. On ne peut pas non plus nier que le président Trump prend en compte sérieusement les problèmes des politiques laxistes d’immigration et de la sécurité des citoyens, même si les mesures adoptées sont naturellement discutables. Il en va de même de son engagement ferme dans la lutte contre le terrorisme.
Cela étant, on ne peut que déplorer plusieurs aspects de sa politique :
Son ignorance des réalités internationales et de l’Histoire est légendaire, ce qui explique certaines propositions farfelues. De même, le simplisme des solutions qu’il préconise est patent, notamment sur les dossiers ukrainien et palestinien où il ne vise en réalité qu’à obtenir des cessez-le-feu sans solution durable. Il est clair aussi que le président Trump est insensible aux questions humanitaires et à l’environnement, qui jusqu’ici sont des domaines prioritaires des politiques occidentales. Enfin, le cynisme de ses prises de position peut être considéré par les régimes autoritaires comme un encouragement indirect à violer les normes internationales et à appliquer sans vergogne la loi du plus fort.
Face à cette nouvelle donne et aux avances de Pékin, qui se présente en héraut du multilatéralisme et de la liberté de commerce, il ne suffit pas de hurler ou de railler la goujaterie du nouveau locataire de la Maison Blanche. Il ne faut pas non plus se laisser aller au défaitisme et au contraire – comme l’a rappelé le Président de la République aux Ambassadeurs de France – agir en exploitant tous les atouts dont nous disposons.
Concrètement, les coups de butoir de Trump doivent être accueillis comme une sonnerie de réveil (« wake-up call ») nous alertant sur la nécessité d’agir sans délai pour prendre à bras le corps les réformes indispensables : réduction de la dette, réindustrialisation, renforcement de notre compétitivité dans les secteurs de pointe, renforcement de nos capacités de défense etc.
Cela signifie aussi que nous devons défendre nos intérêts sans inhibition ni naïveté face à nos concurrents ; mais également continuer à promouvoir les valeurs occidentales de démocratie et de la règle de droit, ainsi que le multilatéralisme, pour établir une gouvernance mondiale plus équilibrée.
Cela étant, face à Trump, nous n’avons désormais pas d’autre choix que de faire des deals. Ceux-ci seront les meilleurs pour nos intérêts si nous sommes crédibles, c’est-à-dire si les Européens sont enfin capables de se battre en commun pour optimiser leur cartes. Il est clair en effet que nos divisions seront exploitées par nos concurrents et adversaires et qu’il faudra faire preuve de détermination pour rattraper les erreurs passées dûes à notre naïveté face à la Russie et à la Chine, et pour surmonter le handicap de décisions à 27, qui sont par nature difficiles. La dernière réunion de Munich a affolé à juste titre les Européens, qui prennent conscience de l’urgence à agir, tout en mesurant leur incapacité à répondre dans l’immédiat aux conséquences d’un accord américano-russe tragique pour l’Ukraine et la sécurité européenne, comme l’a montré la rencontre de Paris du 17 février entre dirigeants européens.
Enfin, nous devons mieux prendre en compte les attentes des pays du Sud, qui souhaitent être mieux considérés et entendus et qui pratiquent désormais le pluri-alignement. Nous, Européens, avons une connaissance réelle des besoins de nos partenaires du Sud avec lesquels nous avons souvent des liens anciens. II convient donc d’établir entre nos Etats, mais aussi entre nos entreprises, des partenariats plus équilibrés, afin d’éviter de tomber – eux et nous – dans un nouveau système bipolaire, cette fois-ci américano-chinois, qui n’est clairement pas dans notre intérêt.