Dans la précédente Newsletter, Bertrand Besancenot répondait aux questions de Pangée TV concernant l’adaptation de la diplomatie française aux évolutions des relations internationales.
Avec l’Algérie, manque-t-on de diplomatie ?
Le président Macron a voulu avancer sur la normalisation entre la France et l’Algérie. Il y a des litiges historiques et c’est un sujet très émotionnel. Il a donc voulu nettoyer le passé et faire en sorte que l’on arrive à s’asseoir, discuter, coopérer, etc. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées comme ça. Un accent très fort a été mis sur le mémoriel, mais beaucoup moins sur la coopération, alors que cela me paraît beaucoup plus important de travailler ensemble sur l’avenir.
La question du Sahara occidental s’est ajoutée à cela. C’est à la fois une question existentielle pour le Maroc et une question politique majeure pour l’Algérie. Nous avons pendant très longtemps joué la carte des Nations Unies mais aujourd’hui, parmi les solutions possibles, la plus rationnelle est finalement de trouver un statut d’autonomie pour le Sahara occidental dans le cadre marocain. Naturellement, celle-ci ne plaît pas à Alger puisque les Algériens ont, je crois, la conception d’un Maghreb où ils sont une puissance centrale, pour ne pas dire la puissance dominante.
En termes d’équilibre économique, étant donné ses ressources énergétiques, l’Algérie est évidemment plus puissante que le Maroc. Mais en termes de développement, le Maroc est en train de devenir une puissance émergente et refuse d’être considéré comme une puissance secondaire par rapport à l’Algérie, ce qui est compréhensible aussi. Il y a eu une volonté de part et d’autre, à Rabat et à Paris, de rétablir une relation ancienne excellente, avec des perspectives de coopération bilatérale et en Afrique très importantes.
Même si nous savons que la relation avec l’Algérie est parfois passionnelle, je trouve très regrettable qu’on en soit venu à des déclarations publiques qui ne font qu’aggraver le problème. Je reste persuadé qu’avec l’Algérie, nous avons une relation intime extrêmement forte, à la fois sur le plan humain et culturel, et des perspectives de coopération économique – et autres – très fortes.
Le discours du président Macron aux Ambassadeurs a été très mal reçu par les pays de l’AES. Comment fait-on pour parler à ces pays après ce dernier discours ?
Sur le fond, le président n’a pas tort. Il y a un sentiment d’ingratitude qui est exact. Effectivement, si la France n’était pas intervenue, le Mali serait tombé. Il est possible qu’ailleurs, on ait eu le même phénomène. Il s’agit de pays amis que nous aimons, mais qui sont restés encore relativement faibles dans leur structure. Donc il était normal, quand on nous le demandait, d’intervenir. Ce qui est vrai, c’est que nous n’étions pas obligés de rester aussi longtemps. Nous aurions sans doute pu faire autrement. Entre-temps, il y a eu des coups d’État. On ne peut pas dire que la légitimité des nouveaux régimes soit particulièrement assurée, en comparaison des anciens gouvernements issus d’élections.
Dans beaucoup de cas, la France a donné le sentiment de conserver un comportement paternaliste. Je ne dirais pas colonialiste, car cela n’a plus de sens aujourd’hui. Le colonialisme de nos jours est russe. Les Russes sont en train de coloniser chacun de ces pays en mettant la main sur leurs richesses. Mais ce comportement paternaliste de la France est humiliant, et je comprends très bien la réaction de ces populations, notamment des jeunes.
Aujourd’hui, nous devons rechercher une coopération extrêmement étroite entre l’Union européenne et les pays africains. À mon avis, c’est utile qu’il y ait un lien entre cette grande monnaie internationale qu’est l’euro et les pays africains qui le voudront bien.
Deuxièmement, nous devons supprimer les bases militaires, parce qu’elles donnent un sentiment de maintien d’une forme de colonialisme, ce qui n’est pas le cas. Mieux vaut les supprimer et les remplacer par des arrangements qui sont des facilités navales, aériennes ou autres, réciproques, comme on l’a fait avec toute une série de pays.
Enfin, il faut un engagement fort de l’Europe sur des grandes infrastructures en Afrique. Aujourd’hui, ce continent a des richesses considérables, mais souffre d’un manque d’infrastructures évident, ce qui freine le développement de ce continent d’avenir.
Il y a en Afrique Wagner, Israël, les Chinois, les Américains, les Turcs, les Émirats Arabes Unis. Le Moyen-Orient a toujours été une zone complexe à comprendre avec de récentes évolutions en Syrie, les échanges d’otages entre Israël et le Hamas, l’Arabie Saoudite qui se veut encore plus puissante qu’elle ne l’est. Comment assurer un équilibre français dans cet Orient complexe et évolutif ?
Effectivement, les évolutions se font très rapidement, avec des effets très négatifs, mais également des perspectives qui s’ouvrent.
Parmi les effets négatifs, il y a naturellement le pogrom du 7 octobre, qui était évidemment absolument scandaleux, mais qui a été suivi par une réponse totalement disproportionnée, avec un nombre de victimes et de destructions côté palestinien tout à fait inacceptable. Cela étant, le résultat des courses est que le Hamas et le Hezbollah sont tous deux affaiblis.
Parmi les perspectives qui s’ouvrent, il y a la disparition du régime de Bachar el-Assad. Poutine a fait un faux calcul en soutenant Bachar el-Assad. Avec l’agression en Ukraine, il n’avait tout simplement plus de moyens, malgré l’appel à l’armement iranien et de la chair à canon nord-coréenne. C’est donc un véritable échec pour Poutine et on ne peut que s’en féliciter. Du côté de l’Iran, deuxième partenaire du régime de Bachar el-Assad, l’affaiblissement de son économie désastreuse, l’opposition intérieure de plus en plus forte et la perte d’une partie de ses jokers dans la région (notamment le Hamas et le Hezbollah) ont fait que le pays n’avait plus les moyens non plus. Cette situation crée pour la première fois une véritable fenêtre d’opportunité.
Au Liban, où l’Iran était une puissance dominante, la chute de Bachar el-Assad et l’affaiblissement du Hezbollah ouvrent la perspective d’un pouvoir libanais normal, en mesure de reconstruire le pays. Grâce à l’action de la France et des États-Unis, il y a eu le cessez-le-feu au Sud-Liban, puis l’élection du président Aoun et la nomination d’un Premier ministre de qualité. Il y aura donc la constitution d’un gouvernement capable de prendre des mesures salutaires, notamment sur le plan économique, qui permettront la renaissance de ce pays.
En Syrie, les nouvelles autorités savent qu’elles n’ont pas le choix pour reconstruire le pays – le PIB de la Syrie aujourd’hui représente 10% de celui du pays en 2010. Elles ne le feront qu’avec l’aide internationale, c’est-à-dire des pays du Golfe et de l’Europe. Pour cela, il faut qu’elles se comportent bien, c’est-à-dire que le régime tienne compte des différentes communautés (alaouites, kurdes ou autres), et que l’on s’oriente vers un régime normal.
Maintenant que les Iraniens ne sont plus en mesure, à travers l’Irak et la Syrie, d’approvisionner le Hezbollah, le Hamas ou d’autres, nous sommes dans une toute nouvelle donne avec la possibilité d’une reconstruction du Liban et de la Syrie.
En revanche, il va falloir traiter sérieusement la question palestinienne, parce que le vrai problème est que depuis plusieurs dizaines d’années, beaucoup ont fait semblant qu’il n’y avait pas de problème palestinien. Si on ne règle pas la question de façon équitable et durable, nous aurons toutes les quelques années de nouveaux 7 octobre.
Quel est l’objectif de la réunion France-Arabie Saoudite, avec la rencontre entre Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane, à New-York en juin ?
Le président Trump a très clairement dit que son premier objectif était de parvenir à une normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël. Les Américains veulent se désengager d’Europe et du Moyen-Orient – relativement, pas totalement – et veulent pouvoir s’appuyer sur des alliés. Ces alliés sont très clairement Israël et les pays du Golfe, au premier rang desquels l’Arabie Saoudite. Or, après ce qu’il s’est passé à Gaza, l’Arabie Saoudite a été extrêmement claire : elle est prête à reconnaître l’État d’Israël, mais dans le cadre de la création d’un État palestinien, dont les frontières seront l’élément de la négociation. Il y a l’initiative arabe de paix sur la base des frontières de 1967 et il faut s’attendre à une négociation très serrée entre le président Trump et le prince héritier saoudien. Trump tient absolument – les Israéliens également – à obtenir la normalisation mais pour cela, il faudra payer le prix. L’idée est de faire des arrangements pour inclure certaines colonies du côté israélien, en échange de territoires aujourd’hui israéliens qui reviendront à l’Autorité palestinienne.
Trump est dans une diplomatie transactionnelle, c’est-à-dire, faire des deals. Netanyahou s’est permis de ne jamais écouter ce que lui racontait le président Biden. En revanche, il sait très bien que la personnalité de Trump et la dernière guerre ont montré à quel point Israël dépendait des États-Unis politiquement, militairement et financièrement. Trump est quelqu’un qui veut une reconnaissance entre l’Arabie Saoudite et Israël, mais pour qu’il y ait reconnaissance, il faut aussi qu’il y ait reconnaissance de l’État palestinien. Je ne dis pas que la négociation sera facile, mais ça veut dire que Trump a des moyens de pression sur Israël. Il est le seul à avoir des moyens de pression.
De l’autre côté, nous pouvons faire confiance à la diplomatie saoudienne qui, depuis le début, sait très bien ce qu’est une relation transactionnelle, c’est-à-dire pouvoir négocier avec la carotte et le bâton. La carotte, c’est évidemment la reconnaissance d’Israël. Le bâton, c’est le fait qu’entre-temps l’Arabie Saoudite s’est sérieusement rapprochée de la Chine, coopère sur le plan pétrolier avec la Russie, est partenaire du dialogue à l’organisation de Shanghai, envisage d’intégrer les BRICS, et montre son autonomie par rapport aux États-Unis.
Les États-Unis veulent garder cette relation stratégique face à la menace iranienne. Il faut donc espérer que la négociation entre Américains et Saoudiens aboutisse à un processus contraignant, menant à la création d’un État palestinien. Pour cela, les Saoudiens auront besoin de nous et c’est pour cette raison qu’il y a une initiative franco-saoudienne sur la solution à deux États.
Trump respecte le président Macron plus que d’autres. Il a de mauvaises relations avec les Allemands, il ne considère plus beaucoup les Britanniques, tandis qu’il a une très bonne relation avec les Italiens. Je pense qu’il sait très bien que la France – notamment sur les questions du Moyen-Orient – est le pays européen le plus actif et que nous parlons à tout le monde. Pour les Saoudiens, le fait qu’un pays comme la France et d’autres pays européens, comme l’Espagne aient déjà reconnu l’État de Palestine est un élément dans la négociation, dans les rapports de force.