Inéligibilité de Marine Le Pen : quels impacts pour la vie politique française ?

04.04.2025 - Éditorial

Marine Le Pen a été reconnue coupable, le 31 mars 2025, de détournement de fonds publics et condamnée à quatre ans de prison, dont deux ans ferme aménagés sous bracelet électronique, ainsi qu’à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, dès le prononcement du jugement – c’est-à-dire une application immédiate -, et une amende de 100 000 euros.

L’affaire concerne l’utilisation abusive de fonds européens destinés à rémunérer des assistants parlementaires entre 2004 et 2016. Sur les 26 autres membres ou ex-membres du RN renvoyés en procès pour ces faits, huit personnalités du parti ont écopé d’une peine.

Quelle interprétation de l’exécution provisoire ?

Si d’autres responsables politiques ont été condamnés par le passé, l’exécution immédiate de l’inéligibilité marque un tournant inédit. Dans sa décision QPC du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a jugé que les articles L. 230, 1°, et L. 236 du Code électoral, combinés, sont conformes à la Constitution, aux motifs notamment qu’ils permettent de garantir l’effectivité de la décision ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité et que cette décision est elle-même mûrement arrêtée par le juge. Il émet toutefois une réserve à ce sujet « il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».

En effet, le tribunal correctionnel de Paris a expressément assorti sa décision d’une exécution provisoire, empêchant tout sursis en cas d’appel. Sans surprise, la principale concernée a dénoncé « une atteinte gravissime à la démocratie et au processus électoral » et annoncé faire appel à la décision et saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et le Conseil constitutionnel. En cas de rejet de cet appel, elle pourrait alors se pourvoir en cassation mais cela ne changerait pas le fait que sa peine continuerait de s’appliquer si elle était condamnée à la même peine.

Toutefois, l’exécution provisoire de la peine d’éligibilité n’est pas remise en cause par le Conseil constitutionnel et, ainsi qu’il a été dit, n’influe de toutes façons pas sur l’exercice de son mandat en cours, mais sur son mandat de conseillère départementale et sa candidature pour l’élection présidentielle de 2027.

Notons par ailleurs que le Premier ministre François Bayrou, relaxé en première instance pour une affaire similaire, a vu le Parquet de Paris faire appel de sa relaxe ; une épée de Damoclès pesant toujours sur le Premier ministre et traduisant d’un renforcement de l’influence des juges sur le calendrier politique.

Quelles conséquences à court-terme sur la situation politique ?

Depuis la nomination de François Bayrou à Matignon, le RN avait fait preuve d’une certaine clémence à l’égard de ce nouvel exécutif – sans pour autant obtenir d’importantes concessions – et avait même voté la nomination de Richard Ferrand, ancien Président de l’Assemblée nationale et très proche du Président de la République, à la tête du Conseil constitutionnel. Cette décision, qui avait provoqué une vague d’incompréhension chez les sympathisants du RN comme les observateurs politiques, s’expliquait en partie par le calendrier judiciaire de Marine Le Pen, suspendu à une décision du Conseil constitutionnel qui devait éclairer le choix des juges.

La peine d’inéligibilité ayant été prononcée, doit-on s’attendre à une nouvelle « radicalisation » du RN et à la censure du gouvernement Bayrou ?

Le RN, qui a durci son discours récemment, évoquant notamment la possibilité d’une censure sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, sera très attentif à la réception de la peine de Marine Le Pen dans l’opinion et pourrait capitaliser sur un rejet global de l’exécutif (François Bayrou étant crédité de seulement 23% d’opinions favorables, selon le dernier baromètre d’Odoxa), pour pousser à une nouvelle motion de censure.

Dans le prolongement d’une censure du gouvernement, une dissolution et de nouvelles législatives offriraient la possibilité au parti d’imposer de nouveau ses thèmes et de rester, en cas de bon score, sur une impression positive dans l’opinion ; bien que Marine Le Pen y trouverait un désavantage personnel, ne pouvant se représenter dans sa circonscription du Nord.

Le Premier ministre a récemment confié sa crainte d’un « choc dans l’opinion », en cas d’inéligibilité de Marine Le Pen.

La pression devrait s’intensifier sur le Premier ministre d’ici un mois de juin très politique, qui verra se rapprocher l’échéance d’une nouvelle possibilité de dissolution de l’Assemblée nationale. Au mois de juin se tiendra également un congrès socialiste où la mansuétude de l’actuel secrétaire général Olivier Faure à l’égard du gouvernement pourrait être puni et une élection à la présidence des Républicains entre un de ses ministres, Bruno Retailleau, et Laurent Wauquiez, actuel président, qui a fait de la proximité de son concurrent avec François Bayrou un argument de campagne.

De son côté, pour contenir l’émotion provoquée parmi les 11 millions d’électeurs du RN, ou profiter d’un éventuel affaissement du parti, Emmanuel Macron aurait-il intérêt à renvoyer les Français aux urnes en prononçant une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale ?

Tout l’enjeu reposera sur la réaction d’un électorat frontiste, que l’on sait pour une part fragile, susceptible de se démobiliser et de basculer dans l’abstention. Marine Le Pen pourrait en revanche remobiliser son électorat, ragaillardi par une intense campagne « anti-système ». Le RN semble d’ores et déjà décidé à mener une telle campagne, Jordan Bardella ayant appelé à une manifestation pacifique. À titre d’exemple, en 2017, François Fillon avait su mobiliser des ressorts similaires pour consolider son socle et atteindre 20% des suffrages, malgré une campagne présidentielle plombée par les affaires.

Il apparaît par ailleurs risqué pour Emmanuel Macron de retenter l’expérience de la dissolution, alors que celle-ci fut mal comprise par l’opinion et avait suscité une certaine défiance des Français.  En parallèle, la conjoncture économique et le calendrier de réduction du déficit public pourraient dissuader le Président de la République de se risquer à une nouvelle dissolution, la précédente et l’instabilité politique qui a suivi ayant eu de lourdes conséquences sur la croissance et la confiance des acteurs économiques.

Quid des perspectives pour l’élection présidentielle 2027 ?

La possible inéligibilité de Marine Le Pen aurait évidemment d’importantes conséquences sur la ligne de départ à l’élection de 2027. Si elle se voyait confirmée à l’issue de l’appel, plusieurs hypothèses se dessineraient :

  • Une candidature de Jordan Bardella, sous forme de « ticket », avec Marine Le Pen à Matignon : Pour la première fois, la députée du Pas-de-Calais a ouvert cette possibilité dimanche soir sur BFMTV affirmant que l’actuel président du RN « les capacités d’être président de la République » ;
  • Un risque de division interne, au sein d’un parti hyper-personnalisé autour de Marine Le Pen, d’autant que Jordan Bardella n’est pour l’heure, pas certain de faire l’unanimité. Marion Maréchal, malgré son ralliement à Éric Zemmour en 2022, devrait se repositionner dans la dynastie Le Pen. La nièce de Marine Le Pen a d’ores et déjà exprimé son soutien, estimant que la candidate menait son camp « sur le chemin de la victoire » ;
  • Un frein à la dynamique entamée par le mouvement ces dernières années, ramenant le RN à son socle, sans pour autant conquérir des électeurs indécis ou plus modérés, ce qui profiterait à d’autres figures de la droite, comme Édouard Philippe ou le candidat désigné par les Républicains.

Par Anne-Laure Cattelot & Margaux Leroy

Anne-Laure Cattelot
Spécialiste des politiques publiques européennes, nationales et territoriales, Anne-Laure Cattelot entame sa carrière professionnelle au Parlement européen. Elle poursuit en pilotant des projets européens au CNRS et au Conseil général des Côtes d’Armor, et travaillera au cabinet de Claudy Lebreton, président de l’ADF. Elle rejoint ensuite celui du président de la Métropole européenne de Lille, Damien Castelain, où elle gère les dossiers liés aux transports et au développement économique. En 2017, elle est élue députée du Nord. Elle siège au sein de la commission des Finances de l’Assemblée nationale et est nommée co-rapporteure spéciale du budget infrastructures et services de transports. Elle a été missionnée deux fois par le Premier ministre et a produit des rapports sur le déploiement de l’industrie du futur 4.0, et sur l’avenir des forêts et de la filière bois en France. Elle rejoint en juillet 2022 le cabinet Rivington en tant que Directrice générale adjointe. Elle occupe la fonction de Directrice Associée d’ESL Rivington et de Managing Partner d’ESL European Affairs. Depuis janvier 2025, elle occupe la fonction de Vice-Présidente du Pôle « Influence » de l’ADIT.