Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), l’avancée des rebelles du M23 (Mouvement du 23 mars, créé en 2012) se poursuit sans interruption en dépit des pourparlers en cours à Doha et de la médiation tentée par les Etats-Unis de Donald Trump. Mais la crise de l’Est du Congo a des conséquences politiques jusqu’à Kinshasa où la lutte est de plus en plus virulente entre le président Félix Tshisékédi et son prédécesseur, Joseph Kabila.
Le 6 mai 2025, les combats étaient encore signalés dans la région d’Uvira (Sud-Kivu, non loin de la frontière avec le Burundi) entre les rebelles et des milices pro-gouvernementales, de même que dans la région de Rutshuru (Nord-Kivu) et de Masisi. L’avancée des rebelles du M23, depuis le début de l’année a été très rapide : après la prise de Goma, capitale du Nord Kivu peuplée de plus d’un million d’habitants le 29 janvier 2025, les rebelles appuyés par des militaires rwandais, selon plusieurs sources dont l’ONU, ont pris la seconde ville du Kivu, Bukavu le 16 février 2025 tandis que l’armée congolaise (FARDC) et ses alliés burundais ont décidé de se replier. Auparavant, les rebelles avaient pris le contrôle de l’aéroport stratégique de Kavumu, situé à une trentaine de kilomètres de Goma. Cette avancée a provoqué d’importants déplacements de populations vers les pays voisins, notamment le Rwanda et le Burundi.
Nombreux échecs de médiations
Cette avancée fulgurante contraste avec la lenteur des efforts diplomatiques en dépit de l’engagement de l’ONU, de l’Union Africaine (UA), des Etats-Unis, et des organisations sous-régionales concernées pour tenter de trouver une issue à cette crise sécuritaire. Les délégations de Kinshasa et des rebelles du M23 sont arrivées à Doha le week-end dernier et les travaux ont repris dimanche 4 mai 2025, mais sans véritable contact direct au départ. Chaque partie a d’abord travaillé séparément, avant d’être réunie autour de la table des discussions. Les deux camps affirment, dans une déclaration conjointe, vouloir « œuvrer à la conclusion d’une trêve devant permettre l’instauration d’un cessez-le-feu effectif », mais dans les faits, le climat reste tendu. Il faut dire que les nombreux échecs des médiations précédentes ont douché les espoirs.
Le sommet extraordinaire de Dar es Salam (Tanzanie) organisé le 8 février 2025 par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a débouché sur une déclaration commune appelant à un « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel et à « la cessation des hostilités ». Mais cet appel n’a pas été suivi d’effet sur le terrain. L’ex-président du Nigeria, Olusegun Obasanjo (88 ans), qui est l’un des facilitateurs nommés par cette double médiation EAC/SADC a multiplié les discrètes rencontres avec différents acteurs politiques pour pousser son projet de dialogue « intercongolais ». Une option à laquelle le président Tshisékédi se refusait jusqu’alors.
Le Sommet de l’UA à Addis-Abeba (Éthiopie), les 15 et 16 février 2025 n’a pas non plus marqué d’avancée diplomatique notable mais a finalement révélé le peu de soutien des diplomaties africaines en faveur de Kinshasa. Le président angolais a décidé d’abandonner la médiation qu’il avait tentée au nom de l’UA. Notons que toutes les tentatives de rencontres entre le président Paul Kagamé du Rwanda et son homologue congolais ont échoué, ce dernier refusant de se déplacer à chacun des sommets, jusqu’à ce que les deux chefs d’Etats se rencontrent finalement il y a un mois à Doha au cours d’un entretien secret sous la médiation de l’émir Al-Thani. Mais même après cette rencontre, le cessez-le-feu annoncé n’a pas été respecté.
Pressions américaines
Nouvelle déception le 2 mai 2025, date qui avait été annoncée par les deux pays pour présenter un accord de paix, après une rencontre à Washington le 25 avril 2025, du ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, et de son homologue congolaise, Thérèse Kayikwamba Wagner. Cette semaine, M. Nduhungihere a déclaré qu’il n’y a toujours pas d’accord et que plusieurs étapes restent à franchir avant un texte commun finalisé. Une réunion des ministres des Affaires étrangères devrait à nouveau se tenir à Washington avec cet objectif « lors de la troisième semaine de mai », a-t-il ajouté. Le processus devrait aboutir à « la signature de l’accord mi-juin à la Maison Blanche », a précisé Olivier Nduhungirehe. Cette annonce intervient un jour après que l’envoyé spécial américain pour l’Afrique, Massad Boulos, a déclaré sur X avoir reçu « un projet de texte sur une proposition de paix » de la RDC et du Rwanda. « C’est une étape importante vers la réalisation des engagements pris dans la déclaration de principes », a déclaré M. Boulos, qui est le beau-père de Tiffany Trump, fille du président américain Donald Trump. Le mois dernier, Massad Boulos s’est rendu dans les deux pays et a appelé le Rwanda à cesser son soutien au M23 et à retirer ses troupes. Le Rwanda a nié tout soutien militaire au M23, mais affirme que sa sécurité est depuis longtemps menacée par des groupes armés dans l’est de la RDC, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) créées par d’anciens dirigeants hutus liés au génocide rwandais de 1994.
Positions irréconciliables
Lors du sommet de l’UA, les échanges avaient été très vifs entre Kigali et Kinshasa. La Première ministre congolaise, Judith Suminwa Tuluka, avait appelé les pays membres à des sanctions contre le Rwanda pour son soutien militaire aux rebelles du M23. « La position de la RDC est claire : le Rwanda ne peut pas envahir un pays souverain sous prétexte de venir y poursuivre des génocidaires et dans la foulée exporter nos minerais et les vendre en son nom. La RDC a ses problèmes, mais personne n’a demandé au Rwanda de les résoudre pour elle », avait estimé une source proche de la Première ministre citée par la presse.
Quant au président rwandais, il s’était montré très tranchant : « Si le jeu des reproches, les beaux discours, les mensonges, l’impudeur étaient la solution à ce problème, il aurait pris fin depuis longtemps », avait-il déclaré. « Quand la RDC prendra-t-elle la responsabilité de son propre désordre ? Comment peut-elle penser que tous ses problèmes viennent de l’extérieur, et donc externaliser les solutions à ses propres problèmes ? Le Rwanda n’a rien à voir avec les problèmes de la RDC », avait-il martelé.
Le régime Tshisékédi affaibli
Pourtant sur le terrain, la situation militaire semble échapper à Félix Tshisékédi et à Kinshasa, les rumeurs enflent de jour en jour sur des dissensions au sein de l’armée. Selon plusieurs sources, le Gouverneur militaire de Goma tué avant la prise de Goma a été abattu par un élément des FARDC et non par « un sniper des M23 » comme l’indique la version officielle. Des témoignages attestent par ailleurs de graves difficultés logistiques et de ravitaillement au sein des FARDC appuyées par des milices parfois incontrôlables.
Selon des témoins, les populations du Sud-Kivu n’ont pas manifesté d’hostilité lors de l’entrée des rebelles du M23 dans Bukavu, ou dans d’autres localités. Les habitants de ces zones en proie à des violences et des conflits depuis plusieurs décennies, sont prises entre le marteau et l’enclume : d’un côté, ils ne sont pas véritablement protégés par les FARDC quand elles contrôlent le terrain (voire même sont des victimes maltraitées), et ils ne peuvent rien faire pour empêcher l’avancée des rebelles. Ils espèrent juste une normalisation de la situation au plus vite.
Au volet politique, la nomination d’un nouveau Conseiller spécial à la sécurité, le 5 février 2025, laisse perplexe bon nombre d’observateurs : avocat d’affaires, ancien ministre du Numérique puis Directeur adjoint du cabinet présidentiel, Désiré Cashmir Eberande Kolongele n’a pas d’expérience dans le domaine sécuritaire. Les diplomates en poste à Kinshasa ne cachent pas leur inquiétude quant à l’évolution de la situation alors que la plupart des familles des expatriés en poste ont quitté le pays.
Joseph Kabila ciblé
Mais c’est surtout les dernières attaques contre l’ancien président Joseph Kabila qui ont marqué les esprits et démontrent la profondeur de la crise congolaise. L’ex-président congolais, qui se dit en exil « forcé » depuis décembre 2023, est accusé par son successeur d’être l’un des parrains de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), vitrine politique de la rébellion du M23, mais aussi de « préparer une insurrection ». En mars dernier, des perquisitions ont été menées dans deux propriétés de l’ancien président congolais dans la région de Kinshasa. Le 19 avril dernier, les autorités congolaises ont suspendu les activités de son Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), accusé de garder un « silence complice » face au M23. Début mai, les autorités congolaises ont annoncé qu’elles cherchaient à lever l’immunité de l’ancien président Joseph Kabila, sénateur à vie en tant qu’ancien président. Il existe un « ensemble substantiel de documents, de témoignages et de faits matériels » liant M. Kabila au groupe armé M23, a ainsi déclaré la semaine dernière le ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba. « La justice congolaise a rassemblé un maximum de preuves tangibles et irréfragables qui étayent l’implication claire, la participation directe du sénateur à vie Joseph Kabila dans les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les massacres des paisibles citoyens » dans l’Est, a ajouté le ministre.
Le Rwanda en position de force ?
Le Rwanda, sur lequel la communauté internationale tente de faire pression sans grand succès, semble quant à lui plutôt en position de force. Le pays est l’un des principaux fournisseurs de troupes aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, mais aussi un allié précieux de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme comme il l’a montré récemment au Mozambique ou en RCA. Kigali négocie en ce moment l’accueil d’immigrés illégaux avec les Etats-Unis, un des projets phare de Donald Trump étant la lutte contre l’immigration illégale. Par ailleurs, selon une source diplomatique, « une prise de position claire et ferme de l’ONU reste freinée par le groupe A3+ » (membres africains non permanents du conseil de sécurité de l’ONU : l’Algérie, la Sierra Léone et le Mozambique) particulièrement timoré dans son soutien à la RDC, et faisant le jeu du Rwanda. De même, selon cette source, la Chine, « très intéressée par les ressources minières de l’Est de la RDC, a fait évoluer son approche en misant sur le Rwanda » après avoir soutenu Kinshasa jusqu’en 2024. Les prises de positions chinoises, très timides sur le conflit autour du lac Kivu, reflètent sans doute ce changement d’alliance.