
Au Moyen Orient, le président Trump cherche-t-il simplement à gérer des crises ou vise-t-il à mettre en place un nouvel ordre régional ?
Le voyage du président Trump en Arabie Saoudite, au Qatar et aux Emirats Arabes Unis, du 13 au 15 mai, a marqué un moment charnière dans la politique américaine au Moyen Orient et reflète un profond changement dans le paysage de la région. Il s’agissait de sa première tournée à l’étranger au cours de son second mandat, qui visait à obtenir des investissements massifs aux Etats-Unis et des contrats en matière d’armement, tout en proposant de nouvelles approches aux crises de longue date en Syrie, à Gaza et au Yémen. Celles-ci sont ancrées dans une vision pragmatique dans laquelle l’influence et les gains transactionnels sont considérés comme des voies vers la stabilité, plutôt que le changement de régime.
Pour les Etats-Unis, la visite a apparemment généré des gains majeurs : plus de 3 200 milliards de dollars annoncés d’engagements d’investissement de la part des Etats du Golfe, y compris l’un des plus importants contrats d’aviation civile de l’histoire avec le Qatar, l’expansion de la base aérienne d’Al Udeid et la consolidation de la présence militaire américaine dans le Golfe. L’administration Trump a mis l’accent sur une approche axée sur les « deals », en se concentrant sur la dissuasion de l’Iran, l’application de cessez-le-feu et l’engagement avec les acteurs régionaux émergents – même les plus controversés, tel que le nouveau président syrien Ahmed el Chareh.
L’Arabie Saoudite apparaît comme l’homme fort du monde arabe, orchestrant notamment la rencontre historique entre Trump et Chareh, qui a conduit Washington à lever les sanctions contre la Syrie. Riyad a également conclu des accords économiques et de défense records et s’est félicité d’une désescalade au Yémen, qui s’aligne sur son objectif de mettre fin à ce conflit prolongé. Le royaume s’affirme donc comme le moteur d’un nouvel ordre régional, capitalisant sur le déclin de l’influence iranienne.
Les Emirats Arabes Unis ont renforcé leur statut de centre technologique et financier, en promettant 1 400 milliards de dollars d’investissements aux Etats-Unis et en bénéficiant d’un assouplissement des restrictions à l’exportation sur les technologies avancées d’intelligence artificielle. Abou Dhabi soutient globalement le programme régional de Washington tout en promouvant son image de phare de tolérance et de modernisation.
Le Qatar a profité de cette visite pour réaffirmer sa place d’allié stratégique. Il a joué un rôle clé dans les efforts de cessez-le-feu et de médiation des otages à Gaza, a scellé un accord aérien massif avec Boeing et s’est engagé à moderniser la base d’Al Udeid. Sur le plan politique, le Qatar s’est positionné comme un médiateur de confiance entre toutes les parties, maintenant son autonomie tout en s’alignant sur un consensus plus large du Golfe.
Sur le front des questions régionales, la Syrie a occupé le devant de la scène. La rencontre inattendue entre Trump et Chareh a marqué un tournant : les Etats-Unis ont annoncé la levée des sanctions contre Damas, signalant la fin de l’ère Assad. Chareh, un ancien militant devenu leader politique, s’est engagé à expulser les combattants étrangers, à unifier la Syrie et à poursuivre une éventuelle normalisation avec Israël. Cette politique, soutenue par les Etats-Unis, facilitée par le soutien saoudien et turc, a redéfini le dossier syrien et envoyé des ondes de choc à travers les alliances traditionnelles.
A Gaza, aucune percée politique n’a été réalisée. Au lieu de cela, l’accent est resté mis sur un cessez-le-feu humanitaire, des échanges de prisonniers et des efforts de reconstruction, menés par le Qatar et l’Egypte. Les propositions controversées de Trump visant à « réinstaller » la population de Gaza dans les pays arabes ont été rejetées catégoriquement par les Etats du Golfe, qui ont plutôt plaidé pour la reconstruction à Gaza sous la supervision de l’Autorité palestinienne – bien que sans horizon politique clair à ce stade.
Le dossier iranien reflète un équilibre délicat : Trump a publiquement renforcé les sanctions tout en rouvrant discrètement les canaux diplomatiques, notamment par l’intermédiaire d’Oman, pour explorer un éventuel accord nucléaire. Un cessez-le-feu fantôme a été conclu au Yémen, les Etats-Unis interrompant leurs frappes aériennes contre les Houthis en échange de la fin des attaques en Mer rouge. Cette convergence des stratégies au Yémen et avec l’Iran a souligné un désir mutuel d’éviter un conflit à grande échelle, sans cependant concéder de terrain stratégique.
Dans le même temps, la visite de Trump a accéléré la formation d’un nouvel ordre régional, ancré par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Qatar et la Turquie, avec le soutien des Etats-Unis. Cette coalition émergente a effectivement mis à l’écart l’Iran et, plus surprenant, Israël. Tel-Aviv était en effet remarquablement absent de toutes les réunions, et les ouvertures de Trump aux capitales arabes sans coordination avec le Premier ministre Netanyahou ont envoyé un message clair : les intérêts américains dans la région ne sont peut-être plus liés uniquement aux préférences d’Israël.
L’Iran, quant à lui, est confronté à un repli stratégique, après avoir perdu du terrain en Syrie, au Yémen et à Gaza. Tout en s’engageant dans une diplomatie en coulisses, Téhéran reste sous pression pour faire preuve de flexibilité sur ses politiques nucléaires et régionales – sans encore recevoir de garanties sur l’allègement des sanctions.
Toutefois la tournée de Trump dans le Golfe, si elle a généré des dividendes économiques et diplomatiques incontestables, n’a pas permis de résoudre des conflits profondément enracinés. La Syrie est peut-être sur une nouvelle voie sous Chareh et le Yémen a un cessez-le-feu fragile, mais le conflit israélo-palestinien reste politiquement stagnant. Ce qui a émergé, c’est une architecture du Moyen-Orient recalibrée, façonnée par l’affirmation du Golfe, les réalignements stratégiques et les contrats américains. Cependant la question plus large demeure : ces arrangements sont-ils le fondement d’une paix durable ou sont-ils simplement un exercice sophistiqué de gestion de crise ? La première option serait souhaitable, mais dans la réalité la seconde semble plus vraisemblable, même si le président Trump affirme le contraire.