Politique de l’UE sur la concurrence : 3 erreurs de ses détracteurs

06.06.2025 - Regard d'expert

Alors que la Commission est entrée en fonction il y a quelques mois, les politiques européennes, comme il est logique, sont questionnées. Parmi elles, la politique de la concurrence, cœur fédéral de l’UE avec la politique monétaire, pour les pays de la zone euro, et la politique commerciale.

A cette aune, la politique européenne de la concurrence échappe de moins en moins à deux types de critiques qui font l’époque. La première, puissamment exprimée depuis vingt ans notamment par la France, tiendrait à son incapacité à protéger les consommateurs et les entreprises européennes, le cas échéant en assumant de discriminer les acteurs non européens et en enfourchant le cheval de la souveraineté européenne. La seconde, plus récente, consiste à lui reprocher de ne pas intégrer à suffisance les nouveaux objectifs de l’Union Européenne, à commencer par la transition énergétique. C’est pour cette raison que la commissaire à la Concurrence putative, Mme Ribera, est également chargée de la « transition propre, juste et compétitive ». Les détracteurs de la politique de la concurrence – laquelle n’est pas exempte d’autres critiques – commettent trois erreurs.

La première erreur, c’est de ne pas intégrer le principe des contre-mesures. Qu’il s’agisse de fusions ou d’antitrust, les critiques de la politique de la concurrence européenne voudraient que la Commission discriminât en faveur des entreprises européennes et en défaveur des entreprises non-européennes (dont la définition n’est pas toujours évidente). C’est sous cette pression que la Commission s’est lancée dans un combat contre les GAFAM dont Barack Obama disait – non sans quelques raisons – dès février 2015 qu’il embrassait une forme de protectionnisme. Mais si demain la Commission interdit une fusion non-européenne sur son territoire en tordant son droit de la concurrence, qui ne comprend qu’américains, chinois, indiens feront la même chose sur leur territoire ? En matière d’aides d’État, la Commission a ouvert le 16 février 2024 la première enquête approfondie dans le cadre de l’application du Règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur (« Foreign Subsidies Regulation »). Depuis, l’opérateur chinois concerné a renoncé à investir en Europe. Est-ce une bonne chose ? Qui pense sérieusement qu’il n’y aura pas de riposte ? Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas durcir les règles. Cela signifie, comme en matière commerciale, que tout a un prix.

Sans vergogne, la Chine forte de son pouvoir, inonde le marché.

La seconde erreur, c’est de céder à l’hubris normatif, que même le rapport Draghi a fini par reconnaître. Les critiques du droit européen de la Concurrence le rendent responsable de l’ensemble des échecs européens. C’est le cas, de manière caricaturale, dans le numérique où l’avance américaine sur l’Europe n’a jamais été aussi grande. Mais comme beaucoup d’autres domaines, c’est croire que l’action normative de l’UE est beaucoup plus puissante qu’elle ne l’est en réalité. Il ne suffit pas d’adopter des normes pour faire des miracles économiques. Le décrochage européen par rapport aux Etats-Unis en matière de PIB depuis 15 ans, que tout le monde constate, tient pour l’essentiel à des erreurs de politique économique nationale. La France d’ailleurs l’a compris : la vraie raison des réticences françaises à l’adoption de l’AI Act c’est la compréhension – tardive mais réelle – que contrairement à ce que l’on a voulu penser à Paris pendant tant d’années, la norme européenne ne peut pas tout, voire qu’elle peut être contre-productive.

La troisième erreur, plus récente et plus insidieuse, c’est l’idée que la politique de la Concurrence doit être plus « politique », et par conséquent intégrer d’autres objectifs que le maintien de la concurrence. En d’autres termes, comme la politique monétaire, la politique de la concurrence devrait être plus « verte », plus « inclusive », etc. C’est une erreur majeure. Économique d’abord, car comme le rappelle la règle de Tinbergen, à un outil de politique économique doit correspondre un objectif de politique économique. Or chacun comprend qu’en fait de respect du droit de la concurrence – là-dessus certains critiques de la Commission ont raison -ce n’est pas le travail qui manque à la Commission ; ce serait parfois plutôt des moyens humains insuffisants pour faire son travail. C’est aussi une erreur politique, car c’est faire reposer sur la Commission (la BCE pour la monnaie) des responsabilités que les gouvernements démocratiques devraient assumer, et ainsi alimenter le populisme anti-européen.

En définitive, les Européens n’ont pas besoin de moins de droit de la concurrence. Ils ont besoin d’un droit de la concurrence qui joue son rôle de protecteur des mécanismes concurrentiels positifs pour la compétitivité européenne et pour le pouvoir d’achat des européens. Encore faut-il savoir ne pas tout en attendre et comprendre qu’elle est une politique de l’Union Européenne parmi d’autres.

Bruno Alomar
Bruno ALOMAR est diplômé de l’IEP de Paris, d’HEC et de l’Ecole de Guerre. Ancien élève de l’ENA, il est également titulaire d’un LLM de l’Université Libre de Bruxelles. Cet économiste français a travaillé au ministère des Finances et à la Commission européenne (en tant que haut fonctionnaire à la DG COMP, Direction générale de la concurrence) et a enseigné les questions européennes à Sciences Po Paris et à l'IHEDN. Auteur de La réforme ou l’insignifiance : dix ans pour sauver l’Union européenne (Ed. Ecole de Guerre – 2018), Bruno ALOMAR commente régulièrement l’actualité, et notamment les questions européennes, à travers des chroniques publiées dans divers médias français. Depuis 2020, il est également PDG de New Horizon Partners, une société spécialisée dans le conseil en relations publiques et communication.