La génération de la fureur ou la rage numérique

31.10.2025 - Éditorial

Ces derniers mois, une vague de protestations étiquetées sous la bannière de la « Génération Z » a secoué diverses régions du monde, de l’Afrique à l’Asie, en passant par l’Amérique latine et même l’Europe. Bien qu’avec des formats et des prétextes différents, elles émergent dans des contextes d’inégalité économique flagrante, de chômage chronique des jeunes et de défaillances gouvernementales criantes.

Il ne fait aucun doute que le chômage des jeunes est un puissant moteur de mécontentement, de frustration, voire de désespoir. Ce facteur, amplement documenté par des rapports tels que celui de la Banque mondiale (2024), qui estime les taux de chômage des jeunes à plus de 25 % dans des régions comme l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud, agit comme l’un des principaux catalyseurs de l’effervescence sociale. L’étincelle de l’indignation est souvent légitime, parfois elle ne l’est absolument pas. Dans d’autres cas, des raisons en apparence justifiées sont démesurément grossies, exploitées par les éléments les plus radicaux de chaque société, qui voient dans les révoltes le parfait terreau de la violence et du chaos.

En Indonésie, ce fut l’augmentation du salaire des parlementaires qui l’a provoquée ; au Maroc, la tragédie de huit femmes enceintes soumises à une césarienne et mortes par négligence médicale dans un hôpital public d’Agadir. Au Kenya, ce furent les lois fiscales, la corruption endémique et le déferlement émotionnel lors du rapatriement des restes de l’ex-Premier ministre Raila Odinga. D’autres pays ayant connu des phénomènes similaires sont le Népal (avec l’incendie du parlement), Madagascar (qui a provoqué la fuite du président), le Pérou sous prétexte de la destitution de la présidente Dina Boluarte et des revendications indigénistes, sans oublier les manifestations pro-palestiniennes qui ont presque toujours dégénéré en véritables batailles rangées.

Dans les pays développés, une déconnexion s’est produite entre les classes politiques et leurs sociétés, ouvrant la voie aux populismes. L’incompétence dans la gestion et la détérioration de certains services publics essentiels comme la santé et l’éducation, ou leur absence totale dans les sociétés des pays en voie de développement, ont allumé les mèches de bombes extraordinairement déstabilisatrices.

Une analyse approfondie révèle une réalité crue, bien distincte du romantisme de certaines interprétations biaisées : ce qui commence comme des demandes légitimes se transforme, à une vitesse alarmante, en rampes de lancement pour l’extrémisme. Ces manifestations ont été systématiquement détournées par des révolutionnaires violents lancés à la conquête de l’influence par le chaos. Le désespoir authentique est manipulé par des instigateurs radicaux et même des éléments criminels, utilisant un réseau sophistiqué de circuits clandestins sur Internet pour transformer la frustration en guérilla urbaine.

L’abîme du désespoir est le terreau le plus efficace. Dans des pays comme le Kenya, où le chômage des jeunes atteint 35 % selon l’OIT (2025), la frustration est une poudrière. Des experts comme l’économiste Jeffrey Sachs concluent que le chômage chronique non seulement érode la confiance dans les institutions, mais « crée un vide que des éléments radicaux exploitent à leurs fins ». Comme le soulignait le sociologue Raymond Aron dans L’Opium des intellectuels, lorsque les « religions séculières » (les idéologies) exploitent le mécontentement économique, la raison démocratique est la première victime.

Lorsque le modèle social est sérieusement compromis, peut-être déjà épuisé, les gouvernements doivent procéder à une reconstruction en profondeur (les réformes ne suffisent pas) pour ne pas laisser pour compte une part croissante de nos concitoyens. Sachons ainsi séparer le bon grain de l’ivraie : le nombre alarmant croissant de désemparés et de désespérés, même diplômés et ayant un emploi, et les violents. L’inclusion pour les premiers, une action policière implacable pour les seconds.

Anatomie des protestations : les trois types de manifestants

Pour comprendre le détournement du mouvement, il est vital de disséquer ses composantes. Il existe trois types de manifestants dans les mal nommées « Gen Z protests » :

  1. Les Jeunes Diplômés et Frustrés : Le premier groupe est constitué de jeunes préparés, souvent dotés de diplômes supérieurs, mais au chômage. Ils sont profondément irrités par leur situation professionnelle, la perpétuation des injustices et l’absence de progrès dans les services essentiels comme la santé publique de qualité et l’éducation. Curieusement, les gauches radicalisées qui cherchent à coopter ce groupe préfèrent un enseignement public dégradé, car les sociétés moins formées sont plus faciles à manipuler. Ces jeunes formés, sans perspectives claires ni horizon d’espoir, descendent dans la rue lorsque l’étincelle se produit. Comme le confirme Amnesty International (2025) à propos du scandale d’Agadir, la négligence systémique mobilise les personnes éduquées, mais l’infiltration radicale transforme leur indignation en confrontations idéologiques.
  1. La « Chair à canon » : les précaires sans formation. Le second groupe est composé de jeunes au chômage ou occupant des emplois précaires et mal rémunérés, sans formation spécifique ou aucune. Ils rejoignent la vague en partageant l’indignation générale. Ce n’est pas nouveau, c’est la vieille rage contre les élites déconnectées de leurs sociétés. Leurs motivations sont plus socio-économiques que structurelles ou politiques. Cela aurait une portée limitée sans l’incitation et la manipulation de la gauche radicale (tant locale que mondiale) qui, via Internet, alimente le feu avec le combustible le plus inflammable de la radicalité violente. Ce second groupe est leur « chair à canon ». Le Center for Strategic and International Studies (CSIS, 2025) décrit comment des groupes extrêmement violents comme Antifa utilisent ces « manifestants périphériques » comme une masse mobilisable, transformant la rage économique en violence organisée. Le New York Times a classé les graves troubles du Népal dans cette catégorie.
  1. Les Opportunistes du Chaos : marginaux, violents, délinquants et voyous. Le troisième groupe est constitué de voyous, de délinquants, de membres de gangs et d’oisifs au chômage permanent parce qu’ils refusent de travailler. Ce sont les profiteurs de la situation. Lorsque les manifestations s’échauffent, encouragées par les réseaux sociaux, ils se lancent dans le pillage et la destruction pour masquer leurs crimes ou simplement parce que, dans le chaos, on vit mieux. Dans toutes les sociétés existe cette violence dans la marginalité sociale : un mélange de rage et d’extrémisme, de violence innée et un léger vernis d’idéologie qu’ils sont incapables de comprendre. C’est la manifestation de ce qu’Émile Durkheim nommait « l’anomie », une dissolution des normes sociales où, comme l’analyse le sociologue, « l’individu ne reconnaît plus de règles qui le contraignent », ouvrant la porte à la déviance. Le criminologue James Q. Wilson, dans sa théorie des « carreaux cassés » (broken windows), explique comment ces éléments prospèrent dans le désordre. Des rapports du FBI (2025) sur l’infiltration des manifestations confirment que l’idéologie radicale sert souvent de prétexte à des délits opportunistes.

Le détournement idéologique et numérique

Les protestations ont été détournées par des instigateurs violents et l’extrême gauche. Dans d’autres cas, des délinquants de droit commun en ont profité pour piller des commerces, voler et incendier du mobilier urbain. L’analyste politique Jordan Peterson (2025) définit cela comme la transformation de « revendications valables en épisodes de guérilla urbaine ».

Cette stratégie d’appropriation des protestations s’observe également en Occident. Les manifestations en « solidarité » avec le peuple palestinien sont, dans leur immense majorité, une plateforme de la gauche et de l’extrême gauche pour ne pas perdre de parts de pouvoir et d’influence. Elles cherchent à mobiliser les leurs pour occuper l’espace laissé par la gauche, autrefois modérée, aujourd’hui languissante, voire moribonde. L’historien Niall Ferguson, dans Bloomberg (2025), décrit cela comme un « opportunisme idéologique », où la cause palestinienne est utilisée pour revitaliser des bases gauchistes en déclin. Politico (2025) a souligné comment ces manifestations ont été cooptées par des « fous de la gauche radicale » (radical left lunatics) pour promouvoir la violence.

Cette cooptation est délibérément ignorée par bon nombre de médias. S’agissant de jeunes aux revendications à première vue nobles, certains « médias mainstream » les ont soutenus avec enthousiasme… jusqu’à ce que leurs propres pays soient contaminés. Et l’on connaît la chanson : un désordre vu de loin, c’est une lutte pour la liberté. Le chaos chez soi, c’est l’affaire des radicaux. C’est un pharisaïsme aux dimensions cosmiques, car les deux sont identiques. Le journaliste Glenn Greenwald (2025) a vivement critiqué cette hypocrisie médiatique : « Ils idéalisent les protestations lointaines, mais les condamnent comme un ‘chaos radical’ lorsqu’elles touchent l’Occident, ignorant leur uniformité sous-jacente ».

Les circuits clandestins de l’insurrection

Comment s’organise ce détournement ? À travers les réseaux sinistres que la gauche radicale utilise pour inciter et organiser les manifestations. Ils opèrent dans un écosystème numérique qui va du semi-public au clandestin.

Discord, loin d’être une simple plateforme de gaming, est devenu le centre de commandement. Les organisateurs créent des serveurs privés avec des canaux spécifiques pour la logistique, l’assistance juridique et l’action directe. Cela permet une organisation granulaire et un relatif anonymat. The Annapurna Express (le quotidien en langue anglaise le plus influent du Népal, et non le plus diffusé, 2025) a dénoncé comment au Népal, des groupes radicaux ont utilisé Discord pour planifier des incendies, « détournant » le mouvement Gen Z.

Telegram et Signal sont utilisés pour les communications sécurisées et pour diffuser des manuels de guérilla urbaine, des mèmes anti-police et des tactiques de confrontation, comme l’a documenté le Washington Post (2025) sur l’instrumentalisation de « la rage numérique ».

Et enfin, les canaux sinistres du Dark Web. Il n’est pas utilisé pour mobiliser les masses, qui l’ignorent, mais par les principaux instigateurs. À travers des réseaux comme Tor, on gère le financement opaque, on distribue des guides de sabotage avancés et on recrute les noyaux durs. Le CSIS (Center for Strategic International Studies, 2020) avertit que des groupes d’extrême gauche emploient ces espaces pour échapper à la surveillance et planifier la violence que leurs manifestants « chair à canon » exécuteront ensuite.

Conclusion : la tragédie de l’indignation manipulée

Les protestations de la « Génération Z », bien que enracinées dans des griefs réels et indéniables, illustrent un schéma alarmant. La légitimité de leur indignation contre la corruption et l’incompétence est détournée par la gauche radicale et des éléments criminels, qui utilisent des réseaux sinistres pour fomenter le chaos. La glorification de ces mouvements comme purement « antifascistes » est particulièrement dangereuse, alors qu’il s’agit en réalité de tentatives révolutionnaires instrumentalisant le désespoir juvénile.

Comme le conclut le prestigieux historien britannique Sir Niall Ferguson (2025), ignorer cette réalité et se concentrer uniquement sur la « noblesse » des causes initiales ne fait que perpétuer les cycles d’instabilité. L’urgence est double : s’attaquer aux causes profondes du mécontentement social et juvénile, sans céder un pouce de terrain à l’extrémisme violent qui les parasite.

Gustavo de Arístegui
Homme politique et diplomate espagnol, Gustavo de Arístegui est diplômé de l'Université pontificale de Comillas (ICADE) à Madrid. Il a d’abord exercé le droit (1987-1989), se spécialisant sur les questions d’immigration. Il a ensuite poursuivi une carrière diplomatique dès janvier 1990. D’abord comme chef de service au sein de la Direction générale de la politique étrangère pour l’Europe, puis comme directeur du Proche-Orient à la Direction générale adjointe pour le Moyen-Orient, où il notamment chargé du suivi de la guerre du Golfe. Après avoir été coordinateur des sanctions contre l’Irak en octobre 1990 à l’OCDE, il est affecté en avril 1991 à l’ambassade d’Espagne en Libye puis en Jordanie en 1993. Il est ambassadeur d’Espagne en Inde à partir de 2012. Entre 1996 et 2008, il poursuit une carrière politique, comme Directeur Général du Cabinet du ministre de l’Intérieur (1996-2000), puis comme député pour le Parti Populaire espagnol (2000-2008).